Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Je suis né Théo, je m’appelle Théa je suis une fille, tout simplement

Elle a un corps de petit garçon, le cerveau d’une fille. Si la dysphorie de genre conserve bien des mystères, Théa et sa famille l’ont acceptée. Pas les autres. Théa ne veut plus vivre dans le secret

- NANCY CATTAN ncattan@nicematin.fr

Elle nous accueille dans un grand sourire. Et puis on l’écoute. Et on lui parle. Théa est une fille. C’est une évidence. (1) Que faisons-nous là à l’interroger ? Nous pourrions aussitôt quitter le charmant appartemen­t où elle nous attendait entourée de sa famille. Mais Théa, 9 ans, veut nous parler. Se raconter. Dire son secret, ce secret si lourd à porter pour une fillette de son âge. Pour ses camarades de classe, Théa est une fille. À l’état civil, Théa reste un garçon, même si elle a déjà obtenu son changement de prénom. Théa est, en effet, née Théo. Avec des chromosome­s XY et un sexe de garçon. Un très joli bébé, puis un beau garçonnet. Les photos qu’elle tient à nous montrer en témoignent. « Très petite, je me trouvais trop garçon, mon corps me dérangeait. Je me demandais : « Qu’est ce qu’il se passe?» J’aimais pas voir mes parties intimes et je pensais: “Est-ce que je vais les perdre? ”» Nathalie, sa maman complète : « Elle avait à peine trois ans lorsqu’un jour, alors que je m’apprêtais à lui couper les ongles, elle a saisi les ciseaux, pour les porter à ses parties intimes. »

« J’aime les filles »

Un autre jour, elle aura ces mots : « J’aime les filles. » Décontenan­cés, ses parents reformulen­t son propos : «Tu veux dire que tu aimes jouer avec les filles?» Théa ne répond pas. «Je ne savais pas bien parler… Je voulais juste leur dire : “Je veux être une fille ”». Les parents du petit garçon que Théa était encore, sans comprendre ce qu’il se passe vraiment, vont néanmoins «laisser faire». « Théa ne s’amusait qu’avec des filles. Elle aimait promener son poupon dans une poussette. Et puis, à la maison, elle se déguisait toujours en princesse. » À peine rentrée de l’école, Théa s’empresse, en effet, de dissimuler ses cheveux courts sous un foulard et quitte ses vêtements de garçon pour enfiler des robes. «Un jour, je me suis déguisée en Blanche Neige. Dans la rue, une voiture s’est arrêtée, les gens se sont moqués de moi comme si j’avais un problème… Je suis rentrée très vite à la maison, je me suis réfugiée à la terrasse. Et puis je me suis dit: Pour Mirou, son grand frère : « Théa, c’est ma soeur, et puis c’est tout. C’est juste qu’elle a beaucoup de force pour une fille », s’amuse-t-il.

“Sois forte, va dans le jardin, amuse-toi! ” J’avais envie de dire aux gens : “Je suis un garçon, et je veux être une fille. Et alors ? ” J’ai réussi après ça à me promener en robe en me disant : “Je m’en fiche ! ” » C’est en rentrant en France que pour Théa et sa famille, les choses vont vraiment commencer à se corser.

« On était en 2013, je n’ai rien trouvé en France, aucune associatio­n dédiée aux enfants .» C’est vers

(2) l’étranger que Nathalie va se tourner. Elle réussit à échanger avec une spécialist­e de ce trouble. «Ça ressemble beaucoup à une dysphorie de genre. Mais on ne peut se

Théa était une fille, elle portait des vêtements de fille, c’était “elle ” », raconte sa maman. À la faveur du déménageme­nt dans une autre ville, et après avoir consulté le célèbre pédopsychi­atre, le professeur Marcel Rufo, de grandes décisions vont être prises. Théa va changer de prénom à l’état civil (après expertise psychiatri­que de toute la famille, son frère inclus). Et surtout elle va faire sa rentrée des classes avec son nouveau prénom, « son » identité de fille et définitive­ment «elle», comme prénom personnel. La marque ultime de ce que les médecins nomment la « transition sociale ». « La direction de l’école a été informée, les enseignant­s aussi, mais pas les enfants. » Pour Théa, c’est une nouvelle vie qui commence. Pour ses camarades, elle est une fille. Une petite fille comme les autres qui connaît ses premiers émois amoureux. « Lui aussi m’a dit qu’il m’aimait… ».

« Tout le monde sait que je suis une fille ! »

Bien sûr, tout n’est pas simple. Il y a les toilettes que Théa ne fréquente pas, elle est aussi « dispensée » de piscine. Et puis, il y a les « soirées pyjama ». « Un jour, j’ai invité des copines. Tout s’est bien passé. Mais, après, elles ne m’ont plus parlé. Et moi, je ne suis jamais invitée. Ce n’est pas poli de ne pas me rendre l’invitation, non?» Qu’est-ce que ses jeunes camarades savent ? Sans que son joli sourire ne quitte son doux visage, Théa confie : «Ça a été dur l’an dernier. Là, je me sens encore un peu mal. J’en ai marre de cacher mon secret, ça complique les choses. C’est stressant et très triste. Sentir toutes ces émotions en moi, c’est difficile. Je veux maintenant le dire à la classe… » Et puis ces mots jaillissen­t, qui disent tout : « Tout le monde sait que je suis une fille, pas un garçon ! » On voudrait lui rappeler que «non, tout le monde ne sait pas» ce qui, pour elle, est une évidence. Son sourire nous en empêche.

Elle aurait pu naître dans n’importe quel autre foyer

Si les parents de Théa se conformero­nt à la décision de leur fille, ils sont conscients des réactions malveillan­tes que sa «révélation» pourra provoquer. Ils savent aussi qu’ils devront continuer de protéger leur enfant pendant très longtemps. Car s’il est prévu que Théa soit traitée par des « bloqueurs de puberté» avant d’initier une hormonothé­rapie, elle devra attendre l’âge de 18 ans pour bénéficier d’une « chirurgie de changement de sexe», ce qu’elle souhaite tellement ardemment. « Ce qui m’inquiète le plus, nous confie son papa en aparté, c’est la période adolescent­e. Quand elle rencontrer­a quelqu’un, elle n’aura pas eu la chance d’avoir déjà pu réaliser sa transforma­tion totale… On sera là pour s’assurer qu’elle ne sera pas violentée… » Des parents aimants, intelligen­ts mais infiniment lucides. Grâce à eux, leur fille n’aura pas à vivre une vie de mensonges, de fauxsembla­nts, de douleurs tellement vives qu’elles conduisent un certain nombre des personnes atteintes de dysphorie de genre à mettre fin à leurs jours. Mais ce contre quoi ils ne pourront jamais la protéger, c’est la bêtise des hommes, l’incompréhe­nsion, l’intoléranc­e… « Même si nous avons aussi rencontré des gens bienveilla­nts… », tiennent-ils à préciser. Théa, c’est l’histoire d’un enfant qui aurait pu naître dans n’importe lequel de nos foyers. Une petite fille qui ne dit rien d’autre que : «Je suis comme je suis, je suis faite comme ça […] et n’y puis rien changer. Que voulez-vous de plus ? Que voulez-vous de moi?» Au fond, c’est très simple. 1. Tous les prénoms ont été modifiés. Le lieu de vie et l’âge de Théa n’ont pas été précisés, afin de préserver son anonymat. 2. Nathalie a créé depuis l’associatio­n Enfants Transgenre­s. Contact : 06.18.34.76.25. Facebook : enfants transgenre­s 3. Extraits du poème Je suis comme je suis, de Jacques Prévert.

 ?? (DR) ??
(DR)

Newspapers in French

Newspapers from France