L’héritage de Paul Cézanne sous surveillance

À Saint-Tropez pour une conférence autour de son arrière-grand-père, il se pose en gardien de la mémoire de l’artiste dont le domaine aixois au Jas de Bouffan doit être ouvert au public en 2019

C «ézanne peint / Et il éclaire le monde pour nos yeux qui n’voient rien. » Composée l’été dans la campagne d’Aix, face à la Sainte-Victoire, la ritournelle signée Michel Berger pour France Gall colonise immanquablement notre esprit alors que l’on salue l’arrière-petit-fils du peintre. En provenance d’Aix, Philippe Cézanne n’a pas le chapeau de paille ni la blouse maculée de peinture, mais la palette de cet ex-expert en oeuvres d’art pour évoquer son illustre ancêtre, rayonne de toutes les couleurs de la bienveillance. Et aussi du franc-parler lorsqu’il s’agit, en marge d’une belle conférence tropézienne organisée par Les Amis de l’Annonciade et de l’expo Cézanne At Home du musée Granet, à Aix, de réaffirmer fermement quelques vérités sur le géniteur des Baigneuses...

Cézanne est-il encore le malaimé du monde de l’art ?

Les expositions de  et  ont contribué à la découverte par le grand public de qui était Cézanne car il a toujours été un personnage compliqué... Y compris pour les intellectuels. Un homme comme André Malraux – que je déteste ! – l’a toujours méprisé. C’est d’ailleurs à cause de lui que le grand tableau des Baigneuses est parti à Londres...

L’écriture vous démange ?

J’ai signé un livre, Cézanne vu par ses contemporains, pour revenir à la source et rétablir quelques vérités... Je cherche le bon éditeur. Je participerai également à un ouvrage qui réhabilite son épouse, mon arrière-grand-mère, Hortense (célèbre modèle de Cézanne, Ndlr) que l’on a un peu oubliée et sur laquelle on a dit beaucoup de mal... La société Paul-Cézanne envisage également un ouvrage sur la maison de campagne de Cézanne au Jas de Bouffan.

Êtes-vous satisfait du projet aixois lié à cette bâtisse ?

La Ville est en train de rénover ce domaine qui comporte un parc de  hectare, une bastide et une ferme, pour, je l’espère, une ouverture au public en . Nos idées d’aménagement semblent entendues avec la présence de reproductions in situ ,une reconstitution de son cadre de vie et de l’atelier des Lauves... C’est ce qui peut toucher les gens. En parallèle nous plaidons pour un centre de recherches et d’études cézannien sur place.

Veillez-vous sur les lubies mercantiles liées à Cézanne ?

Depuis l’âge de  ans, mon père m’a passé le flambeau pour m’occuper des « problèmes cézanniens ». Même si le nom nous appartient et le droit à l’image demeure, la famille a perdu tous les droits financiers et l’oeuvre est tombée dans le domaine public. Du coup c’est un peu la jungle, y compris dans les musées qui vendent des reproductions de tout et n’importe quoi. Et comme nous ne sommes pas les héritiers Picasso avec leur armée d’avocats, je ne peux pas tout surveiller...

Quelles réappropriations vous ont paru déplacées ?

Je me souviens avoir écrit une lettre d’injures au recteur qui avait baptisé, sans même demander notre avis, l’université d’Aix « PaulCézanne». Plutôt malvenu alors que mon arrière-grand-père détestait la matière enseignée dans ces lieux, le droit ! Le plus incroyable que j’ai vu, c’est aux États-Unis, une batte de base-ball couverte d’une vilaine reproduction signée Cézanne. Mais j’en ai finalement ramené une, car je trouvais ça rigolo. Comme les montres Mickey avec la Sainte-Victoire !

Et plus près de chez nous ?

Un célèbre santonnier aixois avait fait un santon Cézanne d’une mocheté rare... J’ai fait un scandale et ils l’ont rebaptisé « le peintre ». En , je suis allé voir les santons Arterra de Marseille et nous avons retravaillé tout cela à partir de photos pour obtenir une belle figurine fidèle. La même année, nous avons édité un foulard avec Hermès plutôt qu’un « sac Cézanne » que je ne trouvais pas probant.

Le projet d’éoliennes au pied de la Sainte-Victoire, est-ce la fin des paysages de Cézanne ?

Vous savez, on passe son temps à échapper à des choses... Je me suis déjà battu contre la ligne de TGV au pied de la Sainte-Victoire. Autres stupidités, la route du Tholonet, surnommée route Cézanne, a failli être transformée pour doubler la nationale... Et dans les années , un maire aixois a voulu exhumer les cendres de mon arrière-grandpère pour les enterrer au sommet de la Sainte-Victoire...

Le film Cézanne et moi sorti l’an dernier, réussite ou croûte ?

Holà... Je n’en pense rien de bien. J’ai rencontré deux fois Danièle Thompson en amont mais elle n’a pas estimé que j’avais à la conseiller. Résultat, tout est bidon ! Même ses cadrages sont mal faits. Elle avait des paysages extraordinaires, elle n’en profite pas. Elle n’a jamais su filmer ! De toute façon le couperet est tombé, le film a fait un bide. Pour moi son personnage, ce n’est pas Cézanne mais Lantier, le personnage fictif du roman d’Émile Zola, L’OEuvre. Quant à Zola et Cézanne, ils ne s’étaient pas brouillés à cause de ce livre comme s’entête à le montrer son film ! Une lettre de Cézanne postérieure à L’OEuvre en témoigne. Ce sont plutôt Renoir et Monet qui se sont sentis visés et ont incendié Zola à l’époque.

Pas plus tendre avec l’interprète de Cézanne ?

Ce pauvre Guillaume Gallienne m’a confié très gentiment qu’il avait pris des cours pour prendre l’accent provençal, mais n’est pas foutu de tenir une seule phrase sans retomber dans le parler pointu... Alors oui, j’ai posé avec lui à l’avant-première, mais c’était chez moi, à Aix, je me devais d’être présent...

Comment jugez-vous l’influence de Cézanne sur l’époque ?

(Il réfléchit) Quand Picasso ou Braque disent « Cézanne notre père », d’accord, mais le cubisme n’était sûrement pas le truc de Cézanne. Il constitue un des maillons importants de l’art, a servi de tremplin à certains, tant mieux, mais là on stagne ! On en est encore au ready-made de Marcel Duchamp... Aujourd’hui on mélange tout. Picasso est un génie en même temps qu’un danger public. Il a retiré toutes les barrières, ouvert toutes les portes. Nombre d’artistes qui n’avaient pas son talent s’y sont engouffrés en disant on peut tout faire. Hélas n’importe comment...

On a voulu exhumer ses cendres !” Dans le film Cézanne et moi tout est bidon”