Richard Malka : « Le dessin, nécessaire à la démocratie »
Invité aux Rencontres-débats de Cannes, l’avocat du journal satirique Charlie Hebdo, comme de DSK, se pose en ardent défenseur de la liberté, de la caricature et de la laïcité en particulier
Comme ses compagnons de Charlie Hebdo, il fait l’objet d’une protection policière discrète, mais ne semble pas en être trop affecté. Amicale décontraction et bienveillance du regard. Voix douce, verbe aiguisé. Richard Malka est un ardent combattant des prétoires. La robe de l’avocat fait le « moine soldat », mais au nom de la laïcité. Et de la liberté sous toutes ses formes. Figure du blasphème aimable et de la caricature enjouée, le juriste aime aussi quitter les effets de manches pour marcher sur les plates-bandes BD, où Sarkozy et sa Face Karchée lui ont valu un beau succès. Aux Rencontres-débats de Cannes, il reste un homme de (libre) parole. Et de principes. Solitaire comme il dit. Mais au service d’une noble cause collective.
Aux Rencontres de Cannes, le débat vaut plaidoirie ?
Ah non ! La plaidoirie reste un exercice très particulier, où l’on est davantage dans la force de conviction que dans la confrontation. C’est la guerre, avec une liberté totale. On a une armure, la robe, et la parole est une arme. Le débat, c’est la phase de réflexion, avant la plaidoirie.
A Cannes, vous aviez aussi les honneurs du Festival en avec C’est dur d’être aimé par des cons sur le procès des caricatures dans Charlie Hebdo ?
C’étaient encore les temps heureux, mais déjà agités. On ne savait pas que l’horreur allait arriver. Le film est joyeux, il fêtait une victoire au prétoire, mais je ne peux plus le voir, il m’est trop douloureux. À Cannes, ça avait été trois jours de liesse, avec le smoking plutôt que la robe, mais on n’en est pas éloigné : c’est noir avec un col blanc, et quand on prête serment, on porte un noeud papillon blanc. Et puis un avocat, c’est un peu un acteur…
Charlie Hebdo : un combat de chaque jour ?
Ça fait ans que ça dure. Quand j’ai accepté de défendre ce journal, je n’imaginais pas vivre tout ça avec eux. On n’est plus beaucoup depuis le premier jour, mais j’ai grandi avec eux. On a traversé tant d’épreuves… Et même si j’en ai été parfois tenté, on ne quitte pas le bateau au moment où il tangue. C’est une responsabilité vis-à-vis de ceux qui ne sont plus là, comme de ceux qui restent.
En France, des dessinateurs en danger de mort. C’est fou ?
Complètement fou ! Ça n’a aucun sens. Mais la question de la caricature et du blasphème a toujours polarisé le débat, parce qu’avec un dessin, on peut dire tellement de choses. En , la liberté de dessiner a été reconnue, alors qu’avant, il fallait une autorisation préalable. Le dessin est très vite devenu le bras armé de la laïcité. Mais on pensait ce combat gagné !
Votre premier procès pour Charlie : un dessin de Riss sur Caroline de Monaco !
Un dessin horrible où Caroline demande l’annulation de son mariage au pape, les jambes grandes ouvertes, le reste aussi, avec dix évêques autour
qui disent : « La matrice princière n’a pas été utilisée », alors que ce n’était manifestement pas le cas ! [rires]. C’était le premier dessin polémique du nouveau Charlie Hebdo ,onagagnéetçaa accompagné un changement de mentalité. On a eu beaucoup d’autres victoires ensuite, contre des associations catholiques intégristes proches du FN. Puis, les problèmes sont arrivés avec la représentation de l’Islam.
Des limites à la caricature, et des causes qu’on ne peut défendre ?
Il n’y a aucun droit qui ne connaisse pas de limites. Le droit à la caricature comme les autres. Par exemple, une caricature peut s’en prendre à une religion, mais pas à une personne à raison de sa religion (caricatures racistes ou antisémites d’avant-guerre). Et pour un avocat, toute personne doit être défendue, mais chacun choisit ses causes.
Les « une » de Charlie sur Tariq Ramadan ou Edwy Plenel ?
Ce sont des personnages publics, donc sujets à caricature. C’est une exagération, mais tout l’intérêt du dessin est de s’affranchir des codes de l’écrit, c’est une bouffée d’oxygène nécessaire à la démocratie, et ça prouve que Charlie est toujours un agitateur, bien vivant, et c’est magnifique.
Babyloup, une vraie victoire pour la laïcité ?
Absolument. Voilà une petite crèche sans aucun moyen qui porte le combat contre le voile plutôt que de se taire comme souvent, et qui permet d’instaurer une nouvelle interprétation du droit. Le droit à une crèche laïque, sans prosélytisme par le vêtement ni imposition d’une image de la femme sans image, justement.
Dieudonné, toujours bon pour l’asile, comme vous l’avez dit ?
Ah ! cela m’a valu trois ans de procédure ! Mais le combat a été gagné. Je maintiens que sa haine complotiste et sa névrose délirante du juif relèvent de la psychiatrie !
Charlie est toujours bien vivant ! ” Je ne suis pas un fouteur de merde mais... ”
Et DSK ? Dans le contexte Weinstein, ça aggrave son cas ?
Sa défense serait beaucoup plus compliquée, mais il n’était pas accusé de harcèlement sexuel dans l’affaire du Carlton. Et puis, il faut faire la part des choses, et ne pas trop contractualiser les rapports humains et la séduction, même si l’affaire Weinstein a mis à jour un vrai phénomène de société et des pratiques inacceptables envers les femmes.
Dans un portrait de Libération, un témoin vous décrit comme ?
« un fouteur de merde » Je ne sais s’il faut le prendre comme un compliment ! Ce n’est pas ma nature, je suis plutôt diplomate en fait. Mais quand il le faut, je n’hésite pas, je n’ai pas peur ! Foutre la merde, c’est aussi faire réfléchir, ça peut être utile…
La BD, votre espace de liberté ?
Oui, j’y suis tenu à beaucoup moins de prudence que l’avocat. Avec Philippe Cohen et Riss, on a créé une nouvelle forme de BD politique, tout en faisant rire. Les Pieds-Nickelés, c’étaient un rêve de gosse, et la sciencefiction, je suis fan depuis ma lecture de l’Incal. Le janvier sort mon premier roman chez Grasset, Tyrannie, un thriller judiciaire où je me sens encore plus libre car seul auteur.
Si vous étiez une bulle BD ?
[sourire] J’ai envie de dire : fuck !