Un gentilhomme
Jean d’Ormesson, Jean d’O, comme il aimait qu’on l’appelle, était à tous les sens du mot un gentilhomme. Gentilhomme, aristocrate, ce fils de diplomate l’était de naissance, par son appartenance de la longue dynastie des Lefèvre d’Ormesson. Mais il était surtout un homme gentil. La chose peut surprendre, lorsqu’on est, comme il l’était, le plus connu, et le plus lu, des écrivains français, couvert de gloire et d’honneurs de son vivant. Mais ni l’Académie française, où il entra en , et dont il fut, à l’époque, à ans, le benjamin, ni le succès n’ont jamais entamé sa fraîcheur d’âme. Pas plus que sa réelle gentillesse. Son sourire, l’éclat vif de ses yeux très bleus, son charme aussi, qui agissait sur les hommes comme sur les femmes, faisaient de lui, où qu’il se trouve, dans un dîner entre amis ou sur les plateaux de télévision, un merveilleux interlocuteur parlant de sa voix inimitable, de philosophie, de politique ou de littérature. Son humour, célèbre, n’était jamais féroce. Ses bons mots, son sens de la formule, les histoires, petites ou grandes qu’il racontait, sa modestie vraie, sa culture immense, ravissaient ceux qui l’écoutaient, et au moins autant ceux qui sont devenus, au fil des ans, ses lecteurs fidèles. C’est qu’il ne se prenait pas au sérieux, Jean d’Ormesson. Parce qu’il doutait de lui, parfois, malgré l’immense succès recueilli par ses nombreux livres. Il avait même prématurément fait ses adieux à la littérature après l’échec de quelquesuns de ses premiers romans en publiant en son « Au revoir et merci ». Heureusement, cet adieu ne fut qu’un au revoir. Qui ne se souvient des titres de principales oeuvres qu’il écrivit par la suite, depuis « Au plaisir de Dieu », où il racontait la fin d’un monde, celui du château de sa mère à Saint-Fargeau, jusqu’à son dernier ouvrage, un survol de son existence en quelque sorte : « Je dirais malgré tout que la vie fut belle ». Et c’est vrai qu’il aimait la vie, Jean d’Ormesson, ses bonheurs et aussi ses chagrins, ses bonheurs et ses aspérités. S’il paraissait, au-delà des années, si jeune, tant son visage était éclairé par une sorte de grâce, c’est qu’il ne vieillissait pas en réalité, toujours curieux, toujours passionné, toujours lumineux. Le sectarisme était un mot inconnu de lui : cet homme classé à droite révérait l’écrivain communiste Louis Aragon. Un temps directeur du Figaro, s’opposant dans ses articles à la « gauche socialo-communiste » de , ce fut pourtant le dernier interlocuteur que François Mitterrand convia pour un dernier petit-déjeuner, juste avant de quitter le pouvoir, le mai : hommage d’un Président qui aimait la culture au plus cultivé des écrivains français. On finissait par le croire réellement immortel. Il ne l’était pas et sa mort prend la dimension d’un deuil national tant sont nombreux ceux qui l’ont connu, aimé et lu. « Avec maladresse et ignorance, écrivait-il en , je n’ai jamais cessé, du fond de mon abîme de chercher le chemin, la vérité et la vie. »
« On finissait par le croire réellement immortel. Il ne l’était pas... »