Var-Matin (La Seyne / Sanary)

La souveraine âgée de 21 ans était poursuivie dans notre région par la famille de son mari, qui l’accusait de l’avoir fait assassiner et se serait vengée en lui faisant manger ses enfants

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à haut dans la montagne, au dessus du village de Coaraze, où tout n’est que silence à part les cris des oiseaux de proie, se dressent les murailles en lambeaux d’un hameau fantôme. On se trouve au-dessus de la vallée du Paillon à une trentaine de kilomètres au nord de Nice. Le lieu s’appelle « Rocca Sparviera », le « Rocher des éperviers ». Selon une vieille légende, la Reine Jeanne - reine de Naples et comtesse de Provence - s’y serait réfugiée à l’âge de 21 ans avec ses gardes et ses deux enfants, au soir de Noël de l’année 1347. Elle était poursuivie par la famille de son mari qui l’accusait de l’avoir fait assassiner. Son mari André, fils du roi de Hongrie, avait en effet été tué par un certain Louis de Tarente, qui passait pour son amant et qu’elle avait épousé aussitôt après. Pour se venger, le roi de Hongrie avait lancé ses troupes contre elle. La reine Jeanne s’était alors enfuie de Naples avec sa suite, à bord d’une galère, commandée par un capitaine marseillai­s, Jacques de Gaubert. Elle souhaitait se rendre auprès du pape Clément VI qui se trouvait à Avignon afin de se faire absoudre.

Un traître parmi les proches

Avant d’atteindre Avignon, et afin de brouiller les pistes, elle avait décidé de disparaîtr­e un temps dans ce coin isolé de nos Alpes-Maritimes, à 1100 mètres d’altitude, où elle pensait que personne ne la retrouvera­it. Elle ignorait qu’un traître se trouvait parmi ses proches. En cette veille de Noël 1347, au village de Rocca Sparviera, on est étonné de voir à nouveau s’élever un panache de fumée au-dessus du château, et d’entendre grincer les lourdes portes de la vieille bâtisse. On découvre rapidement l’identité de l’arrivante.

Les bergers multiplien­t les offrandes de victuaille­s. Le curé, Dom Pancrazio, est aux anges de découvrir la présence d’une reine parmi ses ouailles. Il fête cet événement en buvant plus que de coutume. La légende raconte que la reine, à l’époque, a deux enfants, des jumeaux. Le soir de Noël, elle les couche avec amour avant de se rendre à la messe au village de Coaraze. En partant, elle fait à peine attention à l’apostrophe d’un membre de son entourage : « La regina va a la messa, Cora ven, trouvera taoula messa »(« La reine va à la messe, Au retour trouvera table mise.») 1 3.

Elle descend à l’église de Coaraze, sur son blanc destrier, entouré de huit gardes et d’un héraut qui sonnera de l’olifant au moment de l’élévation. On célèbre la naissance de l’enfant Jésus au milieu des chants et des chandelier­s. Une fois l’office terminé, assaillie par le froid des cimes mais enveloppée par la douceur divine de la nuit de Noël, la reine remonte, à cheval, avec sa suite, à Rocca Sparviera. Là, une table a été dressée, les victuaille­s s’étalent, éclairées par les bougies et le feu de cheminée, des couteaux sont plantés 5 6 dans des pièces de viande. Sans prendre la peine d’aller voir ses enfants endormis, la reine se met à table et mange de bon appétit. Des chants et des boissons agrémenten­t le dîner. Elle consomme avec joie des viandes qu’elle croit avoir été offertes par les paysans des environs et qu’elle arrose de toutes les sauces qu’on a préparées à son intention. Elle est heureuse. Au moment d’aller se coucher, elle interroge le cuisinier : -« Quelles étaient les viandes que nous avons mangées ? - C’était… vos enfants, Majesté !» Telle est la légende de la Reine Jeanne - la reine qui mangea ses enfants le soir de Noël. La famille de son mari avait décidé de la condamner à la souffrance éternelle de la mort de ses enfants et avait réussi à glisser un traître parmi ses proches.

Une malédictio­n jetée sur le château

Prise de folie, la Reine Jeanne aurait ensuite erré toute la nuit dans le froid. Plus tard, elle aurait fait incendier le château et l’aurait maudit en ces termes : « O rocca rouquina, un jou vendra que aqui non cantera plus ni gal ni galina », (« O, roche sanglante, un jour viendra où sur tes ruines ne chantera plus ni le coq ni la poule »). La malédictio­n ne fut pas sans effet puisque le hameau fut victime de tremblemen­ts de terre en 1564, 1611, 1644 et d’une épidémie de peste en 1630. Ses habitants finirent par l’abandonner, les derniers étant le curé et sa servante en 1720. Que faut-il penser de la légende de ce Noël anthropoph­age ? Plusieurs faits sont en cohérence avec l’histoire : l’assassinat du mari, la fuite sur une galère commandée par le capitaine marseillai­s, la présence de la reine dans notre région à la fin de l’année 1347 et au début de l’année 1348. Quant aux enfants, la légende a été alimentée par le fait que la reine a eu, dans ces années-là, deux enfants morts tous deux en bas âge dans des circonstan­ces inconnues (voir encadré). Mais l’existence des jumeaux tout comme la présence de la reine à Rocca Sparviera relèvent, bien sûr, de l’imaginatio­n. Revenons à l’histoire, la vraie.

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(Photos DR) À la fin de l’année , la jeune Reine Jeanne se serait trouvée au village de Coaraze, aujourd’hui dans les AlpesMarit­imes, ici au début du XXe siècle et au château de Rocca Sparviera, en ruines à présent mais où l’on peut se rendre dans le cadre...

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