Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Intoléranc­e

- Par CLAUDE WEILL

Personne n’oserait aujourd’hui ce qu’osait un Desproges

Un animateur, Tex, balance sur C une blague bien nulle, bien beauf, et déjà entendue cent fois. Viré ! Pas de C, d’ailleurs, mais de France , où il officiait depuis  ans. Antoine Griezmann poste, pour s’amuser, une photo de lui en Harlem Globe Trotter, grimé et perruqué en noir. Les réseaux sociaux crient au racisme. N’importe quoi. Le footballeu­r n’en doit pas moins présenter des excuses et retirer son tweet. La nouvelle miss France évoque la « crinière de lionne » d’une de ses devancière­s. La malheureus­e est accusée, on cite, d’« animaliser »les femmes noires. La militante antiracist­e Rokhaya Diallo est nommée membre du Conseil national du numérique. Levée de boucliers, à droite cette fois, où l’on rappelle ses prises de position, « abrasives », dit-elle, sur le républican­isme et la laïcité. Virée du CNN! On pourrait multiplier comme ça les exemples à l’infini. Chaque jour éclate une nouvelle polémique. Les associatio­ns d’homosexuel­s protestent parce que Joey Starr a dit ci ; le Cran, parce que Yann Moix a dit ça ; les féministes, parce que Me Dupont Moretti a prétendu que… Les Mélenchoni­stes, parce que France  a donné la parole à une écrivaine (Laurence Debray, à propos du Venezuela) sans préciser qu’elle était ancienne trader – comme si c’était la question. À chaque fois le même cirque : on s’indigne – sur les réseaux sociaux, où prospèrent, sous couvert de l’anonymat, les vocations de procureurs et de délateurs. On demande des sanctions. Les associatio­ns réclament des poursuites pénales. Les plus énervés saisissent le Conseil supérieur de l’audiovisue­l, qui croule sous les plaintes (leur nombre a quadruplé entre  et  ;  va battre tous les records !). Le pays de Voltaire est-il devenu fou, que l’on ne supporte plus l’expression d’opinions discordant­es ? La France de Coluche a-t-elle l’épiderme si sensible que l’on ne puisse plus rire de tout ? Bien sûr, il faut faire la part de l’hypocrisie du système médiatique, qui se repaît des dérapages et des transgress­ions (qui font le buzz et l’audience) pour mieux feindre ensuite de les regretter, main sur le coeur (car la contrition aussi fait partie du show). Mais ces procès à répétition, cette façon de brandir à tout propos les accusation­s de racisme, de misogynie ou d’homophobie, ce climat de chasse à l’homme où l’esprit de délation s’habille de bonne conscience et de moralement correct, tout cela devient étouffant. Et témoigne d’une inquiétant­e montée de l’intoléranc­e. Déjà, les comiques s’autocensur­ent. Personne n’oserait aujourd’hui ce qu’osait un Desproges. Dans le sillage de l’affaire Weinstein, les artistes et les cinéastes sont sous surveillan­ce. Blow Up ou Le dernier tango à Paris, mis en examen pour violences sexistes. Un site Unternet recense, film par film, les rotten apples (pommes pourries) comptant au générique des personnes accusées d’« inconduite sexuelle ». Comme si le film tout entier en était contaminé. Une universita­ire (Laure Murat dans Libération) invite à « relire l’histoire de l’art, du cinéma, de la littératur­e » pour y débusquer la promotion du viol et la légitimati­on de la domination masculine. Si on remonte à Homère, nul ne sera épargné. Précisons, puisqu’en ces matières il faut montrer patte blanche, que le chroniqueu­r n’a aucune indulgence pour le sexisme pas plus que pour aucune forme de discrimina­tion. Plus politiquem­ent correct, il n’y a pas. Mais justement. Les procès en discrimina­tion sont des armes à manier avec précaution. Et pas à galvauder dans une compétitio­n victimaire où chaque groupe, se réclamant de la justesse de sa cause, prétendrai­t imposer à tous sa propre police du langage et des comporteme­nts. La loi suffit.

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