De quoi seront remplies
Fini la surconsommation de viande… Dans deux à trois décennies à peine, algues, champignons, lichens, légumineuses et invertébrés s’imposeront dans notre quotidien alimentaire. C’est un chercheur varois qui le dit...
Philippe Stéfanini est docteur en anthropobiologie de l’aliment(1). Dit comme cela, rien de très funky au premier abord. Et pourtant... Lorsqu’on vulgarise un peu, il y a de quoi faire rêver. Son job, c’est de parcourir le monde entier – et notamment les contrées les plus éloignées – à la recherche d’aliments durables qui composeront notre alimentation de demain. N’en déplaise à certains lobbies de l’industrie agro-alimentaire « qui veulent majoritairement tout breveter », Philippe Stéfanini estime pour sa part que toutes les richesses qu’il découvre appartiennent au «bien commun ». Pas question de « privatiser le vivant et de le transformer génétiquement pour en faire du business». Une « question d’éthique» à laquelle le chercheur varois est très attaché. C’est pour cela que toutes ses découvertes sont protégées pour ne pas être brevetées. Il est du genre à mettre les (deux) pieds dans le plat. « Demandez-moi de vous concocter un régime alimentaire qui vous fera mourir dans 10 ou 20 ans, c’est très simple », provoque-t-il, pour bien nous faire comprendre que le « but de l’alimentation est aussi de protéger la santé des gens ». Or, comme il a coutume de dire, en citant le paysan-philosophe Pierre Rabhi: «Sur la planète, on a toutes les solutions, mais on ne s’en sert pas. Une agriculture qui ne peut produire sans détruire porte en elle les germes de la déchéance humaine.» D’où l’importance selon lui, d’inciter «les politiques et consommateurs à agir car les paysans sont pris en otage depuis trop longtemps ».
À la recherche des aliments durables
Son travail s’articule autour de deux axes scientifiques majeurs. Le premier vise à rechercher, identifier et analyser les aliments dits « durables ». « Ce sont des aliments qui possèdent des qualités agronomiques, nutritionnelles, sociales et écologiques, éclaire-t-il. Àsavoir qu’ils produisent beaucoup, sans traitement chimique, consomment peu d’eau, peu d’énergie et peu de surface agricole. En général, ce sont aussi de véritables puits de carbone. » Comme tous les autres chercheurs de sa trempe, il a beaucoup appris auprès des différentes ethnies qu’il a étudiées « en zones extrêmes ». Il a donc eu l’occasion d’étudier les habitudes alimentaires des Taquiliens du Lac Titicaca, des Kanembou du Tchad, des Inuits du Groenland, des Yanomani du Venezuela ou encore des Gunjumura d’Australie… Autant de« cultures et de biotopes exceptionnels » dont les richesses ne sont que très peu, voire pas du tout, exploitées. Or, «quand on se met à étudier certaines plantes utilisées dans différents pays du monde, on s’aperçoit qu’elles sont surprenantes notamment en terme de durabilité et qu’elles pourraient être utilisées chez nous, en Europe. »
Qualités nutritives exceptionnelles
Une fois étudiés, ces végétaux et autres minéraux prometteurs doivent ensuite être mis sur le marché en s’adaptant aux cultures alimentaires par l’intermédiaire de l’étique alimentaire que représentent ces nouveaux aliments (lire par ailleurs). C’est le second volet de son travail: «La conversion éthique. » Rentrent alors en jeu les questions de sécurité alimentaire, de droit et d’aspect culturel. «Il faut que ces aliments soient en conformité, il s’agit de prouver par exemple qu’ils ne sont pas neurotoxiques ou envahissants», détaille le chercheur. Une chose est sûre pour lui: « L’avenir n’est pas dans les OGM, mais dans l’étude plus approfondie de la biodiversité des plantes nutritives encore non exploitées, que ce soit sur la terre ou en mer.» Comme par exemple les champignons, algues, lichens, légumineuses et invertébrés dotés d’importantes qualités nutritionnelles qui les classent dans la catégorie des aliments durables. « On en a dénombré des milliers mais en réalité, on en a étudié que 1 à 2%... » 1. Philippe Stéfanini est chercheur au CNRS/ADES (Anthropologie, droit, éthique et santé) - CREAT, et consultant au CFPPA (Centre de formation professionnelle et de promotion agricole) de Hyères. Il est par ailleurs membre de l’organisation intergouvernementale Slow Food, qui a pour objectif de sensibiliser les citoyens à l’écogastronomie et à l’alterconsommation dans une centaine de pays. Voir notre vidéo sur varmatin.com