Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Une mystérieus­e livraison au Muy fin 

Le déchargeme­nt d’une dizaine de valises suspectes à l’aéroport de La Môle, en 2012, est au coeur du volet français de l’affaire Air Cocaïne. Les bagages se seraient « évaporés » au Muy

- ERIC MARMOTTANS emarmottan­s@nicematin.fr

Un peu plus de cinq ans ont passé depuis ce vol discret entre Puerto Plata et Saint-Tropez. « C’est fini. On rentre à vide. RAS.» Ce dimanche 9 décembre 2012, depuis l’aéroport de La Môle, les pilotes du Falcon 50 informent leur employeur par SMS. « Ok. Merci.» Les deux vétérans de l’aéronavale, devenus salariés d’une compagnie d’aviation d’affaires, n’imaginent pas que leur vie basculera trois mois plus tard. Ils seront interpellé­s le 19 mars 2013 à Punta Cana : 700 kg de drogue dans un jet à destinatio­n de Saint-Tropez ! Et l’affaire « Air Cocaïne » éclatera au grand jour.

Des valises boueuses

En attendant, le même avion, déjà en provenance de République dominicain­e, vient de déposer en ce jour de décembre son unique passager et au moins 300 kg de bagages

(1) sur la piste de l’aérodrome varois. Il est environ 13 heures, les dix grosses valises sont chargées à bord d’une Mercedes et d’une Ford de location qui ont pris position à hauteur du jet. Les voitures quittent la piste d’atterrissa­ge comme elles sont arrivées. Par le portail. Sans contrôle. Rien d’inhabituel dans l’aviation d’affaires. Et voilà le convoi lancé sur la route départemen­tale (RD98), tandis que les pilotes du Falcon s’acquittent des taxes aéroportua­ires et s’envolent pour Le Bourget. Les autres protagonis­tes se retrouvent quant à eux le soir même autour d’un dîner à L’Hostelleri­e La Farandole, un bel établissem­ent de Sanary où des chambres ont été réservées. Et contrairem­ent au personnel de l’aéroport de La Môle, intrigué par le déchargeme­nt de valises « lourdes » et « boueuses », les employés de l’hôtel ne remarquent pas de bagages étranges.

Un détour inexpliqué

À l’aune de l’incroyable saisie de drogue réalisée trois mois plus tard à Punta Cana (avec le même passager et les mêmes pilotes), l’épisode de La Môle a de quoi piquer la curiosité de la juridictio­n interrégio­nale spécialisé­e (Jirs) de Marseille, rompue aux affaires complexes. Où sont passées les valises suspectes ? Les expertises sur la téléphonie permettent aux enquêteurs de mettre en évidence un passage par Le Muy. Comment expliquer un tel détour – jusqu’ici jamais révélé – entre La Môle et Sanary? Selon le parquet de Marseille réclamant un procès devant une cour d’assises pour «crime d’importatio­n de stupéfiant­s », le chargement est « susceptibl­e » d’avoir changé de main dans une station-service dédiée aux poids lourds, « point de rencontre des transporte­urs internatio­naux ».

Des versions contraires

L’enquête reste également au stade des présomptio­ns quant au contenu des valises. Les déclaratio­ns évolutives des intéressés, tout au long de l’instructio­n, entretienn­ent le flou. Les valises contenaien­telles, selon l’une des versions initiales, «de l’or et des valeurs»? S’agissait-il, d’après un autre récit, « des affaires personnell­es» d’un tiers ? L’aéronef a-t-il traversé l’Atlantique avec «du linge et des éléments de décoration », voire même – pour expliquer le poids inhabituel des bagages – « des statuettes »? Les juges n’y voient pas plus clair en interrogea­nt les pilotes, soupçonnés d’avoir participé au transborde­ment des bagages à La Môle : « Tout ce qui se passe autour de ça ne m’intéresse pas, ça ne me regarde pas. » Le passager unique et le commandita­ire présumé de ce premier vol finissent par revenir sur leurs premières affirmatio­ns. Pour l’un, aucune valise n’aurait été déposée à La Môle ce 9 décembre 2012. Pour l’autre, se présentant tout à coup comme un vrai-faux agent sur le point d’infiltrer un réseau de trafiquant­s, il s’agissait d’un « vol test ». Donc sans drogue. Bref, aucune livraison de stups « n’est avérée», s’engouffre la défense dès le début de l’affaire. Les seules traces (infimes) de cocaïne détectées par la justice française se trouvent sur des billets de banque saisis dans un coffre bancaire. Quelque 300000 euros y avaient été déposés quarante-huit heures après l’épisode de La Môle. 1. Selon une estimation des enquêteurs.

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(Illustrati­on R.U. et E.M.) Les  kg de bagages auraient changé de mains dans une station-service.
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