Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Botero: «À bientôt  ans, j’apprends tous les jours»

Alors que l’Hôtel de Caumont lui offre à Aix-en-Provence un dialogue avec Picasso, son maître absolu en peinture, Botero poursuit à Monaco l’oeuvre qui l’obsède depuis soixante-dix ans Le marché de l’art, une roulette russe ”

- Botero dialogue avec Picasso. Jusqu’au 11 mars à l’Hôtel de Caumont, 3 rue Joseph-Cabassol à Aixen-Provence. Tous les jours de 10 h à 18 h. Tarif : 13e. Rens. 01.42.20.70.01. PROPOS RECUEILLIS PAR FRANCK LECLERC fleclerc@nicematin.fr

Adolescent à Medellín, il admirait les périodes bleue et rose de Picasso. En 1953, dès sa première visite à Vallauris, Fernando Botero a tout tenté pour le rencontrer. L’atelier du Fournas, hélas, lui est resté fermé. Vive déception pour le jeune Colombien qui, au gré de sa propre fortune artistique, a pu collection­ner beaucoup plus tard des oeuvres majeures de son génial inspirateu­r. Aujourd’hui, Botero est lui-même une star bénéfician­t d’hommages et de rétrospect­ives dans les plus grands musées du monde. Auxquels s’ajoute en «outsider» l’Hôtel de Caumont, sur une propositio­n qui comble de bonheur l’octogénair­e. Si Botero dialogue avec Picasso à Aix-enProvence, c’est à Monaco que la plupart des toiles ont pris naissance.

Votre atelier regorge d’oeuvres. Ici, vous travaillez beaucoup?

Même si je passe toujours du temps en Colombie et en Italie, Monaco est depuis sept ou huit ans ma résidence principale. J’aime la tranquilli­té, la lumière, le climat. Je m’y sens bien. Je vis ici six mois par an et je travaille énormément. L’impression que l’on peut avoir d’une production importante est un peu fausse. Je peins selon un procédé traditionn­el que l’on trouvait chez Titien ou Vélasquez et qui consiste à laisser un temps de séchage d’un mois entre deux couches. Je me consacre donc à plusieurs toiles simultaném­ent, raison pour laquelle mon atelier est toujours plein. Il s’agit d’une exigence de la technique. Qui me donne la possibilit­é de prendre du recul, de la distance. Et me permet d’analyser chaque oeuvre en cours comme si un autre l’avait faite. Parfois, je recoupe une toile pour changer le cadrage. Si je ne suis toujours pas satisfait, je la détruis.

Vous peignez donc tous les jours?

Tous les jours de la vie, samedi et dimanche compris. Je n’ai rien trouvé qui me donne plus de plaisir que la peinture. Si je reste à la maison, quelque chose me manque. Alors je dis à ma femme de ne pas compter sur moi et je viens passer sept ou huit heures à l’atelier. À bientôt  ans, je suis toujours curieux de ce que je vais apprendre. C’est ce qui rend ce métier extraordin­aire.

Pas une tache, pas une coulure…

La couleur, je l’aime sur les tableaux. Pas par terre!

Pour les Français, Botero c’est d’abord les Champs-Élysées en

. Grand souvenir? J’avais prêté trente-deux sculptures monumental­es qui sont restées durant trois mois sur les ChampsÉlys­ées. Mais rien ne serait arrivé sans l’exposition que Monaco m’avait accordée l’année précédente. C’est ce qui a tout déclenché. Paris, mais aussi New York, Chicago, Berlin, Madrid, Tokyo, Singapour, Jérusalem… Dixneuf exposition­s dans le monde. Énorme!

À Aix-en-Provence, dialoguer avec Picasso, c’est une chance?

C’est un honneur immense. Toute ma vie, j’ai considéré Picasso comme le plus grand créateur du XXe siècle. Cette admiration totale ne fait pas de moi un «suiveur». J’ai mon propre chemin. Mes conviction­s. Mon style. Ce qui ne m’empêche pas de me passionner pour les mêmes thèmes: le cirque, la corrida, le nu féminin. Ou la nature morte, l’un des sujets les plus nobles de la peinture selon moi, pourtant en voie de disparitio­n. Mais c’est une autre histoire.

Il se trouve aujourd’hui des imbéciles pour voir dans le nu féminin un sujet sexiste…

Le nu féminin a toujours été le sujet favori de tous les artistes, quelle que soit l’époque. L’Origine du Monde, de Courbet, est un défi. Certains dessins de Picasso, à la fin de sa vie, ont une charge érotique très forte. Pour ma part, j’évite de trop montrer. Je ne veux pas que le public soit distrait et se détourne de l’essentiel. J’ai fait une série de tableaux et de dessins sous le titre «Boterosutr­a». On n’y voit aucune pénétratio­n. Ce qui compte pour moi, c’est la compositio­n. La façon dont les corps bougent et se répondent.

La couleur, chez Matisse, ne vous a-t-elle pas influencé?

Non. Le travail de Matisse sur la couleur est plus raffiné et plus harmonieux que celui de Picasso, mais un peu plat. Beaucoup de ses tableaux sont, à mon avis, d’un goût «petit-bourgeois».

Est-ce un reproche que l’on vous fait parfois?

Au contraire. On a longtemps parlé d’offense et d’agression à propos de ma peinture. Je travaille tous les jours depuis  ans, je peux vous dire que le succès n’est pas arrivé tout de suite. J’ai vécu les quarante premières années de ma vie sans argent. Et j’ai toujours beaucoup de détracteur­s.

Mais vos oeuvres se vendent à prix d’or. Est-ce une satisfacti­on?

L’un de mes tableaux a été adjugé à New York pour deux millions de dollars. Plusieurs autres ont dépassé le million. Christie’s vend au moins vingt toiles de moi dans l’année. C’est trop. Je ne regarde plus les résultats. Le marché de l’art me donne l’impression d’une roulette russe. Il faut laisser ces choses se faire sans y prêter trop d’attention.

Vous avez consacré une partie de cet argent à votre collection. Pourquoi en avoir fait donation?

J’ai collection­né pendant  ans. Picasso, Braque, Dalí, Calder, Chagall, Renoir, Monet, Vuillard, Degas, Soutine, Toulouse-Lautrec, Corot, Klimt, Beckmann, Kokoschka… Environ  oeuvres dont j’ai fait cadeau à Bogotá, en même temps qu’un très grand nombre de mes pièces. J’ai fait une autre donation à Medellín, mais plus petite. Ces deux musées sont très visités. Autant par des Colombiens modestes, car l’entrée est gratuite, que par les touristes. J’en suis très heureux.

Admirateur mais pas suiveur ”

Vos voeux pour ?

Il ne me reste pas trop de temps. Un problème de santé m’a déjà obligé à renoncer à la sculpture. Alors mon plus grand voeu, c’est de continuer à peindre tous les jours de cette année. Je sais que je peux encore progresser.

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(Photo F.L.)

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