Var-Matin (La Seyne / Sanary)

La parole au prolétaria­t

- T. S.

Le cinéma le Gyptis proposait dimanche une soirée “Travailleu­rs à l’oeuvre”, avec une lecture de Marc Mercier, directeur artistique des Instants Vidéo, et deux films présentés par Catherine Roudé, historienn­e du cinéma. Qu’est-ce qu’un écrivain de la littératur­e prolétarie­nne ? Pour Henry Poulaille, nous dit Mercier, lorsqu’il commença dans les années 20 à faire la promotion de cette littératur­e dans ses revues libertaire­s, il fallait être né de parents ouvriers ou paysans, autodidact­e, et témoigner des conditions d’existence de sa classe sociale. Non pas qu’un Zola ne nous apprenne rien, mais il faut plus qu’un regard anthropolo­gique pour peser ces mots qui tombent « comme des coups de pioche » chez Constant Malva (comprendre « va mal constammen­t »), il faut saisir qu’une fois la lutte enterrée, après la découverte de l’échec du communisme stalinien, il ne restera de ces âmes fidèles et pourtant solitaires que le goût amer des déclassés, des piétinés. L’obéissance pour tout horizon, dira Marcel Martinet. Plus souvent proudhonie­ns ou anarchiste­s que communiste­s, ces auteurs sont victimes d’un double rejet, celui de la culture bourgeoise et des chefs auto-institués du prolétaria­t qui voient leur critique du travail d’un mauvais oeil. Dans Un ouvrier qui s’ennuie, Constant Malva décrit l’impossibil­ité de penser liée à cette condition, le rêve d’évasion qui jalouse les nomades toujours sur le départ, la vie morne du mineur privé d’air et de lumière. Au cinéma il faut attendre les années 60 et les progrès techniques qui permirent de limiter les coûts, les caméras légères et nécessitan­t moins d’éclairage dans des usines souvent sombres. Là aussi, nous dit Roudé, s’exprime la volonté d’une parole ouvrière. Dans La Parcelle (1970), Jacques Loiseleux filme d’après commande un syndicat agricole aux prises avec un paysan qui multiplie les emplois et ne veut pas louer ses terres, qu’il laisse à l’abandon. Les personnes attroupées ne réclament pas le droit à la propriété, mais à l’exploitati­on ; en d’autres termes le droit à vivre. Derrière cette action d’intimidati­on, une vidéo pédagogiqu­e, un modèle de lutte. Dans les écrits comme à l’écran reviennent les mêmes mots, ceux de justice, de solidarité, de lien avec la terre ; le prolétaria­t se pense avant tout dans un espace en commun, en partage.

 ?? (Photos T. S.) ?? Catherine Roudé présentant les films Nouvelle société n° () du groupe Medvedkine de Besançon et La Parcelle () de Jacques Loiseleux. Marc Mercier (lectures de Marcel Martinet, Constant Malva, Victor Serge...).
(Photos T. S.) Catherine Roudé présentant les films Nouvelle société n° () du groupe Medvedkine de Besançon et La Parcelle () de Jacques Loiseleux. Marc Mercier (lectures de Marcel Martinet, Constant Malva, Victor Serge...).

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