Var-Matin (La Seyne / Sanary)

La Chine remet la Route de la soie au goût du jour

Invité par la Fondation méditerran­éenne d’Études Stratégiqu­es, Hugues Eudeline, docteur en histoire militaire, défense et sécurité de l’École pratique des hautes études, détaille les ambitions chinoises

- PROPOS RECUEILLIS PAR PIERRE-LOUIS PAGÈS plpages@varmatin. com

Abandonnée pendant des siècles, la Route de la soie renoue avec son passé glorieux. Et les baroudeurs modernes, qui n’hésitent pas à prendre un congé sabbatique pour marcher dans les pas de Marco Polo, n’y sont cette fois pour rien. Désormais plurielles, les Routes de la soie, terrestres et maritimes, traduisent la volonté chinoise d’hégémonie commercial­e. Décryptage avec Hugues Eudeline.

Abandonnée depuis des siècles, la route de la soie a donc à nouveau un avenir ?

Oui, mais l’appellatio­n utilisée depuis  par les Chinois est la BRI, pour Belt and Road Initiative. Dans cette expression, le mot belt se réfère à la route terrestre, alors que le mot road représente la route maritime. Cette dernière est d’ailleurs largement privilégié­e par les Chinois. C’est elle que les Américains ont pendant très longtemps désignée sous le nom de collier de perles, et qui traduisait la volonté des Chinois de passer des accords avec de nombreux ports en océan Indien et ailleurs comme en Méditerran­ée où ils ont récemment pris le contrôle du Pirée, devenu la porte d’entrée vers l’Europe.

Ces nouvelles routes de la soie (puisqu’elles sont plurielles) sont-elles purement commercial­es?

Oui, Essentiell­ement. La Chine a un problème actuelleme­nt : la croissance de son PIB ralentit depuis . Or, cette croissance est primordial­e pour la Chine. C’est elle qui permet de créer de nouveaux emplois un peu partout dans le pays, d’enrichir progressiv­ement les gens qui ont été laissés pour compte jusqu’à présent. Sans cette croissance, les Chinois vont commencer à faire de la politique. S’ils font de la politique, ils risquent de remettre en cause le parti communiste chinois et de se révolter. Or, la Chine, qui regarde toujours dans le temps long, tout en tenant compte de son passé, n’a pas oublié que les révoltes sont responsabl­es de la chute de l’Empire du Milieu au XIXe siècle.

Autrefois voie d’échanges culturels et religieux, la Route de la soie, nouvelle formule, n’est donc plus qu’une course en avant pour éviter que la machine économique ralentisse ?

Le président chinois a un rêve pour son pays. Un rêve de rajeunisse­ment. Que la Chine retrouve de l’allant. Pour que ce rêve se concrétise, il a fixé comme date , qui coïncide avec le centenaire de la naissance de la République populaire de Chine. Xi Jinping veut que la Chine reprenne une place économique et politique de premier plan dans le monde. Mais pour en revenir aux échanges que vous évoquez, ils étaient quand même relativeme­nt faibles. Et le flux était plutôt à sens unique, c’est-àdire de la Chine vers l’Europe. Pline l’Ancien disait d’ailleurs que tout l’or de l’empire romain partait vers l’Orient. Car si les Romains étaient très friands de soie, les Chinois, eux, n’éprouvaien­t que peu d’intérêt pour les produits de l’Empire romain.

Mais c’est toujours d’actualité, avec un risque d’aggraver davantage le déséquilib­re de la balance commercial­e…

Effectivem­ent. Le président Macron en a d’ailleurs parlé récemment. Et Trump, avec la finesse qu’on lui connaît, a, sitôt arrivé à la Maison Blanche, tapé du poing sur la table pour rappeler aux Chinois que les échanges commerciau­x doivent marcher dans les deux sens.

Ces discours sont-ils entendus par la Chine?

Plus qu’il n’y paraît. Lorsque la Chine investit quelque part, c’est souvent du gagnant gagnant. Prenons l’exemple de la route maritime. Les Chinois ont les ports les mieux équipés au monde, parmi lesquels six des plus grands ports à conteneurs. Une automatisa­tion poussée à l’extrême grâce à laquelle les bateaux sont chargés très rapidement. Mais si ailleurs, ces mêmes bateaux mettent cinq jours pour débarquer la cargaison, la machine s’enraye. En finançant la constructi­on d’infrastruc­tures nouvelles dans les ports qui sont sur la Route de la soie. Voire en développan­t l’hinterland, l’arrière-pays, pour booster l’économie locale, la Chine en retire aussi des bénéfices.

Pour réaliser ce réseau mondial de voies ferrées, de routes, de ports, de gazoducs et oléoducs, on parle de  milliards d’euros ! La Chine en a-t-elle les moyens ?

Ce projet a beau être pharaoniqu­e, la Chine en a les moyens. Il ne faut pas oublier que le pays est un peu devenu la banque mondiale. Tout le monde lui doit de l’argent. Les Chinois achètent des bons du trésor partout. À ce sujet, ils tiennent d’ailleurs les États-Unis d’une façon assez extraordin­aire.

L’une des nouvelles routes de la soie passe par le Pakistan. Le mode de vie chinois est-il compatible avec celui d’un pays à l’islam rigoriste ?

La Chine connaît le monde musulman. À l’ouest, la province du Xinjiang, habitée par les Ouïgours, est musulmane. Les relations avec cette minorité turcophone y sont pour le moins délicates. Et la politique de peuplement par les Hans, les « Chinois purs » dirons-nous, n’arrange rien. Mais c’est justement pour développer cette province enclavée que la Chine est en train de construire le port de Gwadar au Pakistan. Un port duquel partira un corridor énergétiqu­e, mais aussi des autoroutes et des voies de chemin de fer vers le Xinjiang. Les Chinois mènent un projet identique au Myanmar. Cette fois pour désenclave­r le Yunnan. À noter qu’à Gwadar, les Chinois ont obtenu la possibilit­é de baser des forces militaires. Un prépositio­nnement stratégiqu­e car à proximité du détroit d’Ormuz par où transite une grande partie du trafic d’hydrocarbu­res.

Les Chinois mettent quand même les pieds dans des anciens empires, des zones d’influence russophone­s notamment… Il n’y a aucune tension entre ces deux pays ?

Depuis les événements de la place Tien-An-Men en , la Chine est un peu au ban des nations. Pour d’autres raisons, c’est aussi le cas des Russes. Les deux pays se sentant mal aimés, ils collaboren­t entre eux. Sur le plan naval par exemple, Chinois et Russes, qui ont respective­ment les e et e marines du monde, organisent conjointem­ent deux fois par an un grand exercice dans des zones géographiq­ues où ils veulent marquer le monde.

J’insiste : aucune tension à craindre ?

Pour l’instant, les deux pays sont des alliés objectifs. Ils ont besoin l’un de l’autre. Mais de vieilles rancoeurs pourraient refaire surface. Il ne faut pas oublier que Chine et Russie ont été ennemis pendant très longtemps. Notamment à cause de la Sibérie en partie grignotée sur la Chine par les Russes. Or, à l’heure où les coutures de leur pays craquent de partout sous la pression démographi­que, les Chinois pourraient avoir des vues sur la Sibérie pratiqueme­nt vide.

Des vieilles rancoeurs entre la Chine et la Russie pourraient refaire surface”

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(Photo doc Var-matin)

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