La Chine remet la Route de la soie au goût du jour
Invité par la Fondation méditerranéenne d’Études Stratégiques, Hugues Eudeline, docteur en histoire militaire, défense et sécurité de l’École pratique des hautes études, détaille les ambitions chinoises
Abandonnée pendant des siècles, la Route de la soie renoue avec son passé glorieux. Et les baroudeurs modernes, qui n’hésitent pas à prendre un congé sabbatique pour marcher dans les pas de Marco Polo, n’y sont cette fois pour rien. Désormais plurielles, les Routes de la soie, terrestres et maritimes, traduisent la volonté chinoise d’hégémonie commerciale. Décryptage avec Hugues Eudeline.
Abandonnée depuis des siècles, la route de la soie a donc à nouveau un avenir ?
Oui, mais l’appellation utilisée depuis par les Chinois est la BRI, pour Belt and Road Initiative. Dans cette expression, le mot belt se réfère à la route terrestre, alors que le mot road représente la route maritime. Cette dernière est d’ailleurs largement privilégiée par les Chinois. C’est elle que les Américains ont pendant très longtemps désignée sous le nom de collier de perles, et qui traduisait la volonté des Chinois de passer des accords avec de nombreux ports en océan Indien et ailleurs comme en Méditerranée où ils ont récemment pris le contrôle du Pirée, devenu la porte d’entrée vers l’Europe.
Ces nouvelles routes de la soie (puisqu’elles sont plurielles) sont-elles purement commerciales?
Oui, Essentiellement. La Chine a un problème actuellement : la croissance de son PIB ralentit depuis . Or, cette croissance est primordiale pour la Chine. C’est elle qui permet de créer de nouveaux emplois un peu partout dans le pays, d’enrichir progressivement les gens qui ont été laissés pour compte jusqu’à présent. Sans cette croissance, les Chinois vont commencer à faire de la politique. S’ils font de la politique, ils risquent de remettre en cause le parti communiste chinois et de se révolter. Or, la Chine, qui regarde toujours dans le temps long, tout en tenant compte de son passé, n’a pas oublié que les révoltes sont responsables de la chute de l’Empire du Milieu au XIXe siècle.
Autrefois voie d’échanges culturels et religieux, la Route de la soie, nouvelle formule, n’est donc plus qu’une course en avant pour éviter que la machine économique ralentisse ?
Le président chinois a un rêve pour son pays. Un rêve de rajeunissement. Que la Chine retrouve de l’allant. Pour que ce rêve se concrétise, il a fixé comme date , qui coïncide avec le centenaire de la naissance de la République populaire de Chine. Xi Jinping veut que la Chine reprenne une place économique et politique de premier plan dans le monde. Mais pour en revenir aux échanges que vous évoquez, ils étaient quand même relativement faibles. Et le flux était plutôt à sens unique, c’est-àdire de la Chine vers l’Europe. Pline l’Ancien disait d’ailleurs que tout l’or de l’empire romain partait vers l’Orient. Car si les Romains étaient très friands de soie, les Chinois, eux, n’éprouvaient que peu d’intérêt pour les produits de l’Empire romain.
Mais c’est toujours d’actualité, avec un risque d’aggraver davantage le déséquilibre de la balance commerciale…
Effectivement. Le président Macron en a d’ailleurs parlé récemment. Et Trump, avec la finesse qu’on lui connaît, a, sitôt arrivé à la Maison Blanche, tapé du poing sur la table pour rappeler aux Chinois que les échanges commerciaux doivent marcher dans les deux sens.
Ces discours sont-ils entendus par la Chine?
Plus qu’il n’y paraît. Lorsque la Chine investit quelque part, c’est souvent du gagnant gagnant. Prenons l’exemple de la route maritime. Les Chinois ont les ports les mieux équipés au monde, parmi lesquels six des plus grands ports à conteneurs. Une automatisation poussée à l’extrême grâce à laquelle les bateaux sont chargés très rapidement. Mais si ailleurs, ces mêmes bateaux mettent cinq jours pour débarquer la cargaison, la machine s’enraye. En finançant la construction d’infrastructures nouvelles dans les ports qui sont sur la Route de la soie. Voire en développant l’hinterland, l’arrière-pays, pour booster l’économie locale, la Chine en retire aussi des bénéfices.
Pour réaliser ce réseau mondial de voies ferrées, de routes, de ports, de gazoducs et oléoducs, on parle de milliards d’euros ! La Chine en a-t-elle les moyens ?
Ce projet a beau être pharaonique, la Chine en a les moyens. Il ne faut pas oublier que le pays est un peu devenu la banque mondiale. Tout le monde lui doit de l’argent. Les Chinois achètent des bons du trésor partout. À ce sujet, ils tiennent d’ailleurs les États-Unis d’une façon assez extraordinaire.
L’une des nouvelles routes de la soie passe par le Pakistan. Le mode de vie chinois est-il compatible avec celui d’un pays à l’islam rigoriste ?
La Chine connaît le monde musulman. À l’ouest, la province du Xinjiang, habitée par les Ouïgours, est musulmane. Les relations avec cette minorité turcophone y sont pour le moins délicates. Et la politique de peuplement par les Hans, les « Chinois purs » dirons-nous, n’arrange rien. Mais c’est justement pour développer cette province enclavée que la Chine est en train de construire le port de Gwadar au Pakistan. Un port duquel partira un corridor énergétique, mais aussi des autoroutes et des voies de chemin de fer vers le Xinjiang. Les Chinois mènent un projet identique au Myanmar. Cette fois pour désenclaver le Yunnan. À noter qu’à Gwadar, les Chinois ont obtenu la possibilité de baser des forces militaires. Un prépositionnement stratégique car à proximité du détroit d’Ormuz par où transite une grande partie du trafic d’hydrocarbures.
Les Chinois mettent quand même les pieds dans des anciens empires, des zones d’influence russophones notamment… Il n’y a aucune tension entre ces deux pays ?
Depuis les événements de la place Tien-An-Men en , la Chine est un peu au ban des nations. Pour d’autres raisons, c’est aussi le cas des Russes. Les deux pays se sentant mal aimés, ils collaborent entre eux. Sur le plan naval par exemple, Chinois et Russes, qui ont respectivement les e et e marines du monde, organisent conjointement deux fois par an un grand exercice dans des zones géographiques où ils veulent marquer le monde.
J’insiste : aucune tension à craindre ?
Pour l’instant, les deux pays sont des alliés objectifs. Ils ont besoin l’un de l’autre. Mais de vieilles rancoeurs pourraient refaire surface. Il ne faut pas oublier que Chine et Russie ont été ennemis pendant très longtemps. Notamment à cause de la Sibérie en partie grignotée sur la Chine par les Russes. Or, à l’heure où les coutures de leur pays craquent de partout sous la pression démographique, les Chinois pourraient avoir des vues sur la Sibérie pratiquement vide.
Des vieilles rancoeurs entre la Chine et la Russie pourraient refaire surface”