« Ne prendre aucun risque pour les enfants »
Thomas était adolescent quand il a subi les attouchements d’un curé niçois. Il a fini par briser le silence. Ces faits sont prescrits. Mais d’autres ne le sont peut-être pas, précise le procureur
Thomas est un homme de 41 ans qui travaille dans la communication. Sa vie pourrait être paisible, épanouie sauf qu’il y a de lourds souvenirs d’adolescent. Les caresses déplacées d’un prêtre dans un appartement d’Auron. Ses baisers volés, sa générosité gênante. Des réminiscences « qui lui pourrissent » son quotidien. Il y a un an, il a tout raconté dans un courrier adressé au procureur de la République de Nice. Son père a également pris la plume pour dénoncer cet ex-ami de la famille trop affectueux envers ses jumeaux. Thomas a mûrement réfléchi. Tellement que les faits qu’ils dénoncent sont prescrits. La justice ne punira pas celui qui s’est permis de lui toucher le sexe pendant son sommeil. Du moins, pas pour les délits qu’il dénonce (lire ci-dessous). Qu’importe. Thomas pense aux autres jeunes que le prêtre encadre lors de camps de vacances. «Jeme suis dit qu’il fallait parler. Parler pour que d’autres ne commencent jamais à souffrir. » Thomas a demandé au curé de retirer de son site les photos où luimême apparaissait. Il n’ira pas plus loin. « Il pense que je vais venir lui casser la figure, lui cracher dessus… Je ne suis pas du tout dans cet état d’esprit. Je veux surtout qu’il arrête d’être avec des jeunes, c’est pour cela que j’avais alerté Jeunesse et Sports. » Le préfet a été plus rapide que l’évêque. Dès juillet, il a interdit à l’homme d’église d’encadrer des adolescents. Le rectorat a suivi. Mgr Marceau a pris une décision similaire en septembre. Dans un Il a fallu plus de vingt ans à Thomas pour trouver la force de se confier à ses proches, puis de déposer plainte. « Il y a eu des attouchements, quand j’avais 13 ou 14 ans dans son appartement à Auron où il organisait des camps de vacances pour adolescents, se souvient le quadragénaire. Puis s’en est suivie une longue pression sentimentale par ce curé qui était devenu un ami intime de la famille. » Le curé le couvrait de cadeaux, lui répétait qu’il souhaitait l’adopter. En 2016, il a mis en ligne sur son compte Facebook des dizaines de photos où l’on pouvait voir des groupes d’adolescents, notamment Thomas. « Je lui ai intimé l’ordre de retirer les photos où j’apparaissais. Ce qu’il a fini par faire mais pas complètement », confie le plaignant. Thomas a dû surmonter, aussi, « une triple culpabilité». «Celle de ne rien dire et de, peut-être, laisser d’autres subir ça - voire pire. Celle de mettre en prison “quelqu’un de bon”. Et celle d’enlever à ma mère le seul ami qu’elle avait pendant un temps .» L’affaire de pédophilie au sein du diocèse de Nice ne se résumerait pas à une victime isolée, et pourrait déboucher sur des poursuites judiciaires. C’est ce qu’a indiqué, hier, le procureur de la République de Nice, Jean-Michel Prêtre, lors d’une rencontre avec la presse.
Plusieurs accusateurs ?
courrier adressé à Thomas, l’évêque, explique : « Je lui ai aussi demandé de n’être en présence d’enfants qu’avec des adultes ». Un an après avoir envoyé sa longue lettre au procureur, Thomas, 41 ans, dénonce à nouveau publiquement le comportement passé de ce prêtre du diocèse de Nice. Et son témoignage ne serait pas isolé. Le procureur de la République de Nice a annoncé que d’autres accusations viseraient ce même curé (lire ci-dessous).
Camp de vacances à Auron
La plainte de Thomas contre un curé niçois, accusé d’attouchements dans les années , a motivé l’ouverture d’une enquête confiée à la sûreté départementale. Sa plainte est la seule enregistrée à ce stade. Mais selon Jean-Michel Prêtre, la justice aurait reçu plusieurs témoignages, imputant d’autres faits à caractère sexuel au même curé. Le procureur évoque des « faits décrits de manière très circonstanciée, avec des sources multiples, diverses et cohérentes» L’enquête suit son cours. En attendant, le curé continue de célébrer la messe dans sa paroisse niçoise.
« Il dit qu’il s’en veut »
Thomas espère que sa démarche poussera d’autres victimes à se manifester. À ce jour, le parquet de Nice n’aurait reçu aucune autre plainte, mais plusieurs signalements inquiétants. La brigade des mineurs de la Sûreté . La justice les prend d’autant plus au sérieux que le curé en question a officié dans plusieurs instituts catholiques renommés, et ce, « pendant très longtemps. Cela peut concerner un très grand nombre de victimes potentielles » . Le procureur invite toutefois à la prudence, se méfiant des souvenirs confus ou des phénomènes d’autosuggestion. En l’état, le curé reste présumé innocent.
Prescription... ou non
En matière d’agression sexuelle, le délai de prescription est de ans à compter de la majorité des victimes. Pour les attouchements (faits délictuels), comme pour les viols (faits criminels). Les faits dénoncés par Thomas seraient donc prescrits. D’autres peuvent-ils éviter cet écueil juridique ? Jean-Michel Prêtre en paraît convaincu. « Il y a certainement départementale a entendu des témoins. Le dossier de Thomas pourrait être classé sans suite, prescription oblige. Mais d’autres pourraient contourner cet écueil. « En janvier 2016, mon frère jumeau a eu une longue discussion avec ce prêtre, précise Thomas. Lui aussi avait subi des caresses. Le prêtre lui a confié qu’il avait pris la décision de ne plus dormir dans la même pièce que des adolescents. Il dit être des faits qui sont prescrits aujourd’hui, mais aussi un certain nombre d’autres qui ne le sont pas. Les investigations en cours visent notamment à vérifier quand cela s’est passé, et quel âge avaient les victimes. » Quant à la nature des faits visés, si l’unique plainte à ce stade concerne des attouchements, le procureur « n’exclut pas qu’il puisse y avoir eu un viol. »
Suspension administrative
L’évêché de Nice n’a pas été le premier à prendre une mesure préventive. Ce curé faisait l’objet d’une suspension administrative l’interdisant d’exercer toute activité au contact des enfants. Une mesure prise en juillet , selon nos informations. « Quand les soupçons sont de cette nature, il n’y a absolument aucun risque à prendre pour les enfants », justifie le procureur, qui avait alerté le préfet.