Sauf miracle, pas d’échappatoire
Les propriétaires du dernier commerce de l’îlot Montéty doivent être expropriés dans les jours qui viennent. Retour sur l’histoire de ce bar, mémoire de ce quartier voué à la destruction...
U «ne bière s’il-te-plaît». La bouteille verte de Heineken file des mains de Joseph Leccia, dit José. Les bulles s’échappant de la bouteille décapsulée font partie des dernières à s’égayer entre les murs peuplés de cochons corses de La Civette de Montéty… Les Leccia sont passés devant le juge de l’expropriation le 17 janvier. «Maintenant, le juge a deux mois pour donner son délibéré et fixer les indemnités », soupire Dominique Leccia, gérante, avec son frère Joseph, de La Civette (voir infra).
Patibulaire
La fermeture prochaine du bar viendra mettre fin à une lente agonie. Au fil des rachats des appartements de l’îlot Montéty par la municipalité et du dépeuplement du quartier, la clientèle de La Civette s’est réduite, étiolée, raréfiée. Aujourd’hui, à peine une dizaine de fidèles et d’administratifs pousse chaque jour la porte du bar-tabac. On avale un petit noir, une mousse ou une omelette. Les jours de gloire appartiennent au passé. Quand Dominique et Le patriarche Leccia, héros de guerre (au centre) serrant la main d’Hubert Falco (à « Les expropriations sont terminées, précise Mohamed Mahouachi, juge de l’expropriation en charge du Var. Mis à part deux cas, les propriétaires sont arrivés à un accord avec les services de la mairie sur le montant des indemnités. Les derniers jugements vont être rendus d’ici la fin de la semaine. » Après une visite détaillée des différents appartements de Montéty le 7 novembre par le juge de l’expropriation et les premières décisions rendues en décembre, la procédure entamée depuis de longues années par la municipalité touche à sa fin... Sauf coup de théâtre, c’est une procession de bulldozers qui cheminera d’ici « Quand c’est cuit, c’est cuit...», côté de sa
Renée Leccia, les parents des gérants actuels, rachètent La Civette en 1970, le quartier est encore en pleine ébullition. L’établissement de cette famille corse devient rapidement un repaire. « À la place du Zénith, il y avait l’arsenal de terre, et à la place de la préfecture, un terrain d’entraînement. C’était le bar de la troupe et des habitués du quartier », détaille Renée Leccia, voix fluette, sous l’oeil d’une figurine de Napoléon Ier. Quelques blousons noirs sont aussi de la partie. Dans la cour, ça joue à la pétanque avec des boules attitrées. A l’intérieur, c’est échecs, flipper et jukebox. Mais dimanche après-midi, place à la télé ! « Tout le monde venait regarder le sport et les variétés !», se souvient peu vers l’ancienne cité ouvrière. « Les travaux de destruction vont démarrer cette année », indiquait Hubert Falco dans nos colonnes (voir notre édition du 17 janvier). Tout en restant flou sur les futures constructions : « L’aménageur nous fera des propositions. »
Pas classé
Un renversement de situation pourrait-il venir de l’ancienneté de la cité ? A priori, non. Montéty n’est pas classé aux monuments historiques… « Un architecte des Bâtiments de France est passé au bar fin janvier. Je lui ai montré le quartier, ses pierres de taille, et il m’a dit qu’il était chagriné par la destruction lâche Joseph Leccia (à Dominique. Début des années 1980, le public du bar change. Avec la construction de la préfecture et des Beaux-arts, les soldats sont remplacés par les fonctionnaires et les étudiants. Des gens de l’extérieur qui se mélangent avec les voisins de Montéty, donnant corps à un joyeux boxon. «On avait des jeunes, des vieux, des patrons, des artistes, des ouvriers...», énumère Dominique. « Et on parlait de tout ! » s’éveille Joseph. « De société, de politique… Il suffit que tout le monde se respecte. »LaCivette est alors un forum. Mais aussi un havre : quand les clochards du coin ne viennent pas y passer Noël, on se refile les bons tuyaux. Des personnages hauts en couleur y trouvent refuge, comme « Roger Antiquités de l’îlot. Mais que son avis n’était que consultatif », assure José Leccia. Contactée, l’Unité départementale droite ),à », un ancien militaire des bataillons d’Afrique, gueule cassée à la mâchoire déglinguée. « Il devait boire sur le côté, les gens en avaient peur. Mais c’était un brave type », glisse José. Les scènes cocasses s’enchaînent. Comme cette fois où un homme en costume demande à Renée de lui garder une mallette contenant huit millions d’anciens francs. « C’était pour les ventes aux enchères des biens de l’Etat qui avaient alors cours à côté!», se souvient la nonagénaire. Les années 1990 filent. Malgré les cours de soutien scolaire donnés sur les tables du bar, de 2000 à 2014, le nouveau millénaire verra arriver le déclin. « Charles, notre frère qui s’occupait essentiellement du bar, meurt en 2000. Notre père suivra en 2003… Il y a eu un monde fou à leurs obsèques… », se souvient Joseph. Et maintenant ? « Je vais rentrer en Corse…», soupire l’insulaire. « Moi, je vais rester avec ma mère dans notre appartement de Claret », glisse Dominique. « Peut-être oeuvrer dans le social. Il y a des choses à faire…» Paulin de Montéty, fondateur de la cité ouvrière, n’aurait pas mieux dit. de l’architecture et du patrimoine n’a pas souhaité s’exprimer sur la destruction de Montéty.