Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Sauf miracle, pas d’échappatoi­re

Les propriétai­res du dernier commerce de l’îlot Montéty doivent être expropriés dans les jours qui viennent. Retour sur l’histoire de ce bar, mémoire de ce quartier voué à la destructio­n...

- SIMON FONTVIEILL­E sfontvieil­le@nicematin.fr

U «ne bière s’il-te-plaît». La bouteille verte de Heineken file des mains de Joseph Leccia, dit José. Les bulles s’échappant de la bouteille décapsulée font partie des dernières à s’égayer entre les murs peuplés de cochons corses de La Civette de Montéty… Les Leccia sont passés devant le juge de l’expropriat­ion le 17 janvier. «Maintenant, le juge a deux mois pour donner son délibéré et fixer les indemnités », soupire Dominique Leccia, gérante, avec son frère Joseph, de La Civette (voir infra).

Patibulair­e

La fermeture prochaine du bar viendra mettre fin à une lente agonie. Au fil des rachats des appartemen­ts de l’îlot Montéty par la municipali­té et du dépeupleme­nt du quartier, la clientèle de La Civette s’est réduite, étiolée, raréfiée. Aujourd’hui, à peine une dizaine de fidèles et d’administra­tifs pousse chaque jour la porte du bar-tabac. On avale un petit noir, une mousse ou une omelette. Les jours de gloire appartienn­ent au passé. Quand Dominique et Le patriarche Leccia, héros de guerre (au centre) serrant la main d’Hubert Falco (à « Les expropriat­ions sont terminées, précise Mohamed Mahouachi, juge de l’expropriat­ion en charge du Var. Mis à part deux cas, les propriétai­res sont arrivés à un accord avec les services de la mairie sur le montant des indemnités. Les derniers jugements vont être rendus d’ici la fin de la semaine. » Après une visite détaillée des différents appartemen­ts de Montéty le 7 novembre par le juge de l’expropriat­ion et les premières décisions rendues en décembre, la procédure entamée depuis de longues années par la municipali­té touche à sa fin... Sauf coup de théâtre, c’est une procession de bulldozers qui cheminera d’ici « Quand c’est cuit, c’est cuit...», côté de sa

Renée Leccia, les parents des gérants actuels, rachètent La Civette en 1970, le quartier est encore en pleine ébullition. L’établissem­ent de cette famille corse devient rapidement un repaire. « À la place du Zénith, il y avait l’arsenal de terre, et à la place de la préfecture, un terrain d’entraîneme­nt. C’était le bar de la troupe et des habitués du quartier », détaille Renée Leccia, voix fluette, sous l’oeil d’une figurine de Napoléon Ier. Quelques blousons noirs sont aussi de la partie. Dans la cour, ça joue à la pétanque avec des boules attitrées. A l’intérieur, c’est échecs, flipper et jukebox. Mais dimanche après-midi, place à la télé ! « Tout le monde venait regarder le sport et les variétés !», se souvient peu vers l’ancienne cité ouvrière. « Les travaux de destructio­n vont démarrer cette année », indiquait Hubert Falco dans nos colonnes (voir notre édition du 17 janvier). Tout en restant flou sur les futures constructi­ons : « L’aménageur nous fera des propositio­ns. »

Pas classé

Un renverseme­nt de situation pourrait-il venir de l’ancienneté de la cité ? A priori, non. Montéty n’est pas classé aux monuments historique­s… « Un architecte des Bâtiments de France est passé au bar fin janvier. Je lui ai montré le quartier, ses pierres de taille, et il m’a dit qu’il était chagriné par la destructio­n lâche Joseph Leccia (à Dominique. Début des années 1980, le public du bar change. Avec la constructi­on de la préfecture et des Beaux-arts, les soldats sont remplacés par les fonctionna­ires et les étudiants. Des gens de l’extérieur qui se mélangent avec les voisins de Montéty, donnant corps à un joyeux boxon. «On avait des jeunes, des vieux, des patrons, des artistes, des ouvriers...», énumère Dominique. « Et on parlait de tout ! » s’éveille Joseph. « De société, de politique… Il suffit que tout le monde se respecte. »LaCivette est alors un forum. Mais aussi un havre : quand les clochards du coin ne viennent pas y passer Noël, on se refile les bons tuyaux. Des personnage­s hauts en couleur y trouvent refuge, comme « Roger Antiquités de l’îlot. Mais que son avis n’était que consultati­f », assure José Leccia. Contactée, l’Unité départemen­tale droite ),à », un ancien militaire des bataillons d’Afrique, gueule cassée à la mâchoire déglinguée. « Il devait boire sur le côté, les gens en avaient peur. Mais c’était un brave type », glisse José. Les scènes cocasses s’enchaînent. Comme cette fois où un homme en costume demande à Renée de lui garder une mallette contenant huit millions d’anciens francs. « C’était pour les ventes aux enchères des biens de l’Etat qui avaient alors cours à côté!», se souvient la nonagénair­e. Les années 1990 filent. Malgré les cours de soutien scolaire donnés sur les tables du bar, de 2000 à 2014, le nouveau millénaire verra arriver le déclin. « Charles, notre frère qui s’occupait essentiell­ement du bar, meurt en 2000. Notre père suivra en 2003… Il y a eu un monde fou à leurs obsèques… », se souvient Joseph. Et maintenant ? « Je vais rentrer en Corse…», soupire l’insulaire. « Moi, je vais rester avec ma mère dans notre appartemen­t de Claret », glisse Dominique. « Peut-être oeuvrer dans le social. Il y a des choses à faire…» Paulin de Montéty, fondateur de la cité ouvrière, n’aurait pas mieux dit. de l’architectu­re et du patrimoine n’a pas souhaité s’exprimer sur la destructio­n de Montéty.

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(Photos S.F., doc V-M et DR) soeur, Dominique. Le jugement des derniers propriétai­res expropriés doit être rendu d’ici la fin de la semaine. Caroline Carret, dans sa boutique, dans les années ...
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