Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Le col de Tende : « la route la plus élevée des Alpes »

Casanova n’est pas Don Juan

- ANDRÉ PEYREGNE

Après ses séjours en  et , qui font l’objet de notre récit, Casanova refait un passage en  dans notre région. Cette fois-ci, il est seul – ce qui est rare dans sa vie ! Comme pour le séjour précédent, son périple a commencé à Marseille. « À Marseille, je reçus des nouvelles de Rosalie que son mari avait rendu très riche. Je ne pouvais plus espérer revoir cette femme charmante… Je rencontrai le marquis d’Aragon à qui sa femme, vieille Anglaise, avait apporté une dot de quarante mille guinées. Ce fut à cet heureux vaurien que je n’eus pas honte d’emprunter cinquante louis avec la certitude La route du col de Tende sur une gravure du XVIIIe siècle.

de ne jamais les lui rendre. Après quoi Casanova se rend à nouveau à Nice en passant par Toulon, Fréjus, Antibes. De Nice, il se dirige vers Turin en empruntant le chemin

Mais lui non plus n’était pas seul. Il était en compagnie d’une jeune personne qu’il présenta à Rosalie comme sa nièce. « Une nouvelle nièce, éclata de rire Rosalie ? Vous ne pouvez pas me mentir, mon ami: je connais cette fille, elle est de Marseille et s’appelle Crosin ! »

Halte à Menton avec son frère recherché

Casanova et Rosalie se quittèrent avec nostalgie. C’est alors - toujours à Gênes - qu’un personnage inattendu surgit dans le paysage. Un abbé en guenilles qui n’est autre que… le frèrecadet de Casanova. Il fuit Venise, où il a enlevé à sa famille une jeune Marcoline dont il est tombé amoureux. Il est recherché par la police. Deux hommes et deux femmes s’apprêtent à rejoindre au plus vite la Côte d’Azur par bateau : Casanova, son frère, sa « nièce » et Marcoline. A ceux-là s’est joint un certain Passano, poète de son état. La croisière est mouvementé­e, la mer mauvaise. On fait halte à Menton. « Mes deux belles amies (ma nièce et Marcoline) étaient malades, ainsi que Passano et mon frère. Quant à moi, je me portais à merveille. Ayant mené mes deux malades à l’auberge, je permis à Passano et à l’abbé d’aborder et de se rassurer à terre… Le plaisant de l’affaire est que ma nièce s’était éprise de Marcoline au point qu’elle m’avait prié de la laisser coucher avec elle. Comme je pouvais

»

du col de Tende, qu’il qualifie de « route la plus élevée des Alpes » ,etqui culmine à  mètres d’altitude. On la parcourt à cheval à l’époque, en évitant les fréquentes attaques de bandits

assister à leurs lubriques folies, je n’y avais mis aucun obstacle. » Casanova poursuit : « L’aubergiste ayant signalé que le prince Honoré III et son épouse la princesse de Monaco étaient à Menton, je me décidai à les rencontrer. Il y avait treize ans que je lui avais fait ma cour à Paris, où je l’empêchais de bailler en soupant avec lui et avec sa maîtresse Caroline… Il n’était point marié alors, et, à présent, je le retrouvais dans sa Principaut­é avec son épouse dont il avait déjà deux fils. La princesse était née marquise Brignole (NDLR : riche famille de Gênes sans rapport avec la cité du Var, Brignoles), riche héritière et femme particuliè­rement aimable… » Casanova décida de faire une farce au prince. L’attirant à l’auberge en lui disant « qu’il était avec deux beautés », il partit juste avant son arrivée, lui laissant le soin de payer les repas. On ne sait quelles furent, par la suite, les relations entre Casanova et le prince de Monaco ! L’incroyable libertin, lui, avait repris la mer. La galanterie illustrée au XVIIIe siècle par le peintre grassois Fragonard.

À Antibes et Nice : des nuits de rêve

« Arrivés à Antibes, ma nièce me tendit la main en baissant les yeux de l’air le plus tendre et le plus modeste. de grand chemin. Un corps de garde est d’ailleurs installé à mi-chemin pour aider les voyageurs en difficulté. Ce n’est qu’au début des années  que le roi Amédée III de Sardaigne fera élargir cette route pour permettre le passage des diligences à quatre chevaux. De là, Casanova se dirige vers Turin où il est reçu par une famille noble originaire de Saint-Martin-Vésubie, les Raiberti. Là il a la désobligea­nte surprise qu’ « on le trouve vieilli ». Commentair­e de Casanova : « Comme je ne pouvais être vieux qu’en fonction de mes  ans, je m’en consolai aisément ! »

Enivré de bonheur de voir une complaisan­ce qui ressemblai­t si bien à de l’amour, je me couchai près de cette ravissante fille en m’écriant : - Enfin voici venu l’instant de ma félicité ! - Et de la mienne, mon cher ami. - Comment, de la tienne ? Ne m’as-tu pas constammen­t repoussé ? - Jamais, je t’ai aimé dès le premier instant, et j’ai souffert ton indifféren­ce avec la plus douloureus­e amertume… Nous passâmes une nuit plus facile à deviner qu’à décrire. Marcoline vint nous trouver le matin, nous fit cent caresses et nous promit de coucher seule pendant tout le voyage. » C’est ainsi que Casanova prétendit avoir passé une nuit de rêve à Nice. Le lendemain matin, il reprit la route, fit ensuite halte à Fréjus, le Luc, Brignoles. Histoire d’aller étancher hors de notre région sa soif d’amour. On peut être tenté à établir un parallèle entre deux figures célèbres du libertinag­e : Casanova et Don Juan. Il y a deux différence­s fondamenta­les entre les deux. D’abord, Casanova était un personnage réel, Don Juan un personnage de fiction. Ensuite Don Juan était considéré comme un « collection­neur » de femmes, Casanova comme un libertin, qui allait d’une femme à l’autre, et l’abandonnai­t dès qu’elle s’était donnée à lui. Une seule femme lui aurait inspiré un amour durable : Rosalie avec laquelle il a voyagé sur la Côte et qu’il envisagea d’épouser.

Né en  à Venise, Giacomo Casanova, est élevé par sa grandmère, ses deux parents, comédiens, étant toujours en tournée. Ayant suivi des études religieuse­s, il devient en  abbé de l’église San Samuele. À la suite d’un sermon catastroph­ique, fait dans un état d’ivresse, il est menacé de renvoi. Il est toutefois protégé par le sénateur Malipiero… jusqu’au jour où celui-ci découvre sa liaison avec une de ses propres maîtresses.

À la suite de son renvoi de Venise, Casanova est accueilli à Rome par le cardinal Acquaviva. Il semble apprécié par le pape Benoît XIV, jusqu’au jour où, en , il est impliqué dans le rapt de la fille d’un professeur de français qu’il cache dans le palais d’Acquaviva. Il doit alors abandonner la soutane. Il entame à partir de  une vie d’aventurier, exerçant à l’occasion de nombreuses activités : violoniste, financier, bibliothéc­aire, etc. La vie libertine de Casanova se développe, même au sein des milieux religieux. En , il est chassé de Paris pour avoir organisé des soirées galantes avec l’abbé de Bernis, membre de l’Académie française, futur cardinal, ambassadeu­r de France à Venise, avec lequel il partage les faveurs d’une religieuse. La même année, il est enfermé à la prison de Venise, d’où il s’évade l’année suivante grâce à la complicité d’un religieux. Casanova entreprend alors des voyages dans toute l’Europe, dont celui sur la Côte d’Azur, qui fait l’objet de notre récit. Ce séducteur arrive à s’introduire auprès des grands de ce monde. C’est ainsi qu’il est reçu par le roi George III du Royaume-Uni, le roi Frédéric II de Prusse ou l’impératric­e Catherine II de Russie. Il fréquente des scientifiq­ues comme Benjamin Franklin ou des artistes comme Lorenzo da Ponte, prêtre vénitien défroqué, auteur du livret de l’opéra « Don Juan » de Mozart.

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(Photo DR) (Photo DR)
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