Macron au service
Ne dites pas à Emmanuel Macron qu’il n’est ni souhaitable, ni possible de rendre le service national universel et obligatoire. Il paraît que ça l’exaspère. Ce serait même une des raisons pour lesquelles il penche désormais pour un service de trois ou six mois, alors que pendant la campagne électorale il avait parlé d’un seul petit mois – ce qui n’avait d’ailleurs guère de sens. Qu’importe que le ministère de la Défense soit contre, qu’un rapport de l’Éducation nationale déconseille de créer une rupture dans le parcours scolaire des jeunes, dont l’entrée dans la vie active est déjà assez compliquée comme ça ; qu’importe que le rapport interministériel commandé par Édouard Philippe alerte sur le coût et la complexité de ce projet et que deux députées (une LR, une LREM) proposent un tout autre dispositif, dans un rapport dont l’encre n’est pas encore sèche. Le président veut son Grand Service National Universel et Obligatoire. Et sans être Mme Irma, on peut parier que le énième rapport commandé par l’Élysée à une énième commission ira docilement dans son sens. Ça tombe bien : il paraît que la majorité des Français sont pour. C’est curieux cette nostalgie, ou cette manie des adultes de vouloir enrégimenter les jeunes – même quand eux-mêmes, en leur temps, ont tout fait pour y couper… Quitte à doucher ce bel élan de civisme par procuration, qu’il soit permis de rappeler ceci. Accueillir une classe d’âge, soit jeunes, garçons et filles, ça veut dire les encadrer, les héberger, les nourrir, les soigner, les transporter, les équiper, les former… A-t-on les personnels pour ça, les locaux, les budgets ? Jadis, c’est l’armée qui se chargeait de « gérer » les appelés. Aujourd’hui professionnalisée, elle n‘a plus besoin d’eux, ni le temps de s’en occuper. Comme le note le rapport parlementaire déjà cité, la mission des militaires n’est pas de « former des citoyens-soldats qui ne combattront jamais, ni de remettre dans le droit chemin des jeunes prétendument peu engagés ». Ils ont d’autres chats à fouetter. Il existe déjà plusieurs dispositifs volontaires à l’intention des jeunes qui souhaitent « s’engager ». À commencer par le service civique, ouvert à tous depuis . Malgré la mobilisation du gouvernement et la pression mise sur les administrations, on a tout juste atteint en le chiffre de volontaires (pour moitié, des chômeurs). Et à quel prix ? Dans cette course au chiffre, « les aspects qualitatifs ont été un peu délaissés », note pudiquement la Cour des comptes, qui relève qu’il n’existe aucune évaluation des résultats de cette politique, qu’il s’agisse du devenir des jeunes à leur sortie, des raisons qui poussent une partie d’entre eux à quitter prématurément, ou de l’utilité sociale du service civique. C’est toute la question. Question au carré, si on passe du volontariat à l’obligation – qui, n’en doutez pas, sera vécue par beaucoup comme une corvée, une brimade (au fait, on enverra les gendarmes traquer les réfractaires ?). Il ne suffit pas d’enrôler les jeunes. Encore faut-il que cela serve à quelque chose. Ce serait, nous dit-on, un « creuset d’intégration », un moment de « brassage », une manière de « combattre le communautarisme » et refonder l’« esprit républicain ». Pour l’heure, ce n’est qu’un voeu pieux. À supposer que le service national puisse réussir en quelques semaines là où douze ans d’école ont échoué – ce qui reste à démontrer -, encore faudrait-il que l’on puisse proposer aux appelés des activités assez utiles et enrichissantes pour que le service ne soit pas un temps mort. Un service perdant.