Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Chesnais: «Au théâtre, il faut rire des sujets graves»

À quelques semaines d’une création au théâtre d’Antibes, où l’on pourra sourire d’Alzheimer, le comédien évoque sa méfiance à l’égard des réseaux sociaux et sa colère après l’attentat de Nice Ferdinand, solidarité et geste citoyen”

- PROPOS RECUEILLIS PAR FRANCK LECLERC fleclerc@nicematin.fr

Il a répété une semaine à Antibes, puis deux à Paris. Patrick Chesnais est de retour au théâtre Anthéa pour une douzaine de représenta­tions de la nouvelle création de Daniel Benoin, Tu te souviendra­s de moi. Cette pièce, adaptation d’un grand succès de François Archambaul­t au Québec, traite d’un sujet difficile : Alzheimer. Mais le traitement ne manque pas d’humour, et c’est en réalité à une comédie que le public d’Antibes va bientôt assister. Avant une rentrée au Théâtre de Paris, dans la capitale, où le spectacle se jouera jusqu’à la fin de l’année.

Aborder un texte au théâtre, c’est un gros travail en amont ?

Non, moi je ne peux pas apprendre de texte tant que je n’ai pas le nez dans le guidon. Sans échange avec d’autres acteurs, ma mémoire ne s’enclenche pas. C’est trop abstrait, je n’y arrive pas. Avec le cinéma, c’est l’inverse : je travaille avant, de façon à savoir le texte dès le premier jour du tournage. J’ai besoin de le savoir, de le dire et de le redire afin d’en être débarrassé et de me sentir totalement libre pour jouer.

Souvent jouée au Québec, cette pièce est inédite en France…

Elle y a été beaucoup jouée depuis trois ou quatre ans, et avec un grand succès. En France, c’est effectivem­ent une création. C’est moi qui ai suggéré à Daniel Benoin de la monter au théâtre Anthéa. Il a eu un coup de coeur. Tu te souviendra­s de moi raconte l’histoire d’un type vieillissa­nt, un peu perdu, qui se débat avec les prémices d’Alzheimer. On n’est pas franchemen­t dans une comédie, mais c’est une pièce où l’on devrait s’amuser. Car au théâtre, on peut rire des sujets graves. Ce type joue, déconne avec sa maladie. Sauf qu’elle est plus forte que lui, bien sûr. Elle le rattrape. Même si, lui, professeur un peu cabot, habitué des plateaux de télévision où il intervenai­t pour donner son avis sur tout, s’efforce de continuer. On l’y invite toujours, mais pour parler de sa maladie. Ce qui le déprime un peu. Il veut continuer à exister. Il a envie que son avis compte. Sauf qu’il répète plusieurs fois la même chose, se pose des questions, ne reconnaît plus les gens. Il est démuni, se débat, proteste, minimise. C’est aussi, pour lui, une façon d’effacer de sa mémoire le monde tel qu’il est. La mondialisa­tion. Internet. La connerie ambiante. Il se dit qu’après tout, en tirant le rideau, ce n’est pas plus mal de rester avec ses souvenirs d’avant.

Internet vous déprime ?

Internet m’intéresse. J’y suis, je regarde, j’envoie et je reçois des e-mails, je vais sur Google dès que j’ai besoin de trouver quelque chose. Je ne veux pas, aux yeux de mes enfants, passer pour un vieux con. Ou apparaître comme quelqu’un d’une autre époque. Je me souviens de ma grand-mère qui ne savait pas téléphoner. Elle n’avait aucune idée de la manière d’utiliser un téléphone. Un jour, je l’ai vue attraper le combiné et le placer au-dessus de sa tête, comme elle l’aurait fait avec un pommeau de douche. Mémé ! J’étais sur le cul. Je me suis dit : plus tard, pas moi. Ce que vous n’aimez pas, ce sont les réseaux sociaux ? Dans la mesure où chacun peut glisser un bulletin de vote dans l’urne, je conçois que chacun puisse donner son avis. Mais là, il s’agit aussi d’accorder de l’importance à la lie, à la connerie. Tout le monde s’exprime, et pas forcément de la meilleure façon. Ce qu’on y voit la plupart du temps n’élève pas l’âme humaine, au contraire. C’est un peu l’égout et ça, c’est insupporta­ble. Je tire le rideau. Je ne veux pas en entendre parler.

Vos enfants vous le reprochent ?

Non, mais eux, ils y vont. Ils tweetent. Ils buzzent. Ils «facebooken­t». Ils bloggent. C’est la nouvelle donne…

En tout cas, vous jouerez cent fois. Le début d’une aventure?

Voilà. Quatre mois de ma vie et une aventure intense. Chaque jour est différent, on est soi-même différent tous les jours, et le public l’est également. On apprend, on approfondi­t, parfois on passe à côté : il y a des jours sans, comme chez un footballeu­r. Mais toujours un échange et un partage du plaisir et de la création.

Et un partage avec votre fille ?

Oui, Émilie Chesnais, avec qui j’avais déjà joué Tartuffe au Théâtre de Paris, au côté de Claude Brasseur. On a aussi fait une série ensemble, Duel en ville, avec Xavier Beauvois. J’aime bien l’idée de ce rendez-vous quotidien.

Depuis la mort de votre fils, l’associatio­n Ferdinand poursuit son travail de sensibilis­ation ?

Jean-Paul Rouve réalisera le prochain clip au printemps. Vinci, qui finance les films, a demandé que l’accent soit mis sur l’endormisse­ment, première cause de mortalité sur les autoroutes. Alexandre Astier suivra dès la rentrée, et je me chargerai de celui d’après. Guillaume Canet l’a fait, Nakache et Toledano aussi. Tout le monde est convaincu. Les gens de cinéma dans une sorte de solidarité corporativ­e, les chaînes et les groupes de cinéma dans un geste citoyen.

On vous a vu à l’hommage aux victimes de l’attentat de Nice. Pourquoi cette participat­ion ? Parce qu’on me l’a demandé, mais surtout parce qu’il me paraissait légitime d’être là. J’étais présent le soir de l’attentat du  juillet . J’étais venu pour un spectacle et je logeais dans un hôtel, tout près de la promenade des Anglais. Ce soir-là, j’ai appris ce qu’il se passait lors d’un dîner à l’extérieur et je suis évidemment rentré immédiatem­ent. Quand je suis arrivé, le hall était plein de gens hagards qui s’étaient réfugiés là. Nous leur avons donné de l’eau avec le directeur de l’hôtel, nous avons essayé de leur parler… Plus tard je suis resté sur le balcon, le silence était glaçant. À part les sirènes, rien d’autre que ce calme impression­nant.

Réseaux sociaux: la lie et la connerie”

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(Photo Patrice Lapoirie)

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