Var-Matin (La Seyne / Sanary)

P. Henry: «La question migratoire mérite de la pédagogie»

Attendu ce jeudi à Toulon où il donnera une conférence, le directeur général de l’associatio­n France Terre d’Asile commente le projet de loi asile-immigratio­n présenté demain en Conseil des ministres On marche beaucoup plus sur la jambe droite ”

- PROPOS RECUEILLIS PAR PIERRE-LOUIS PAGÈS plpages@varmatin.com

Invité par la Fondation méditerran­éenne d’études stratégiqu­es, Pierre Henry donnera ce jeudi une conférence (1) sur le thème du défi migratoire. En attendant, le directeur général de France Terre d’Asile exprime ses satisfacti­ons et ses déceptions, plus nombreuses, au sujet du énième projet de loi asile-immigratio­n qui sera débattu demain en Conseil des ministres. Un projet qu’il juge pour l’heure « déséquilib­ré ».

Vous avez déclaré au sujet du projet de loi asileimmig­ration : « L’objectif est de mieux reconduire, plus reconduire et reconduire immédiatem­ent ». Il n’y a donc rien de positif dans ce projet ?

Si, évidemment. Notamment en matière d’intégratio­n. Le fait de passer un certain nombre de titres de séjour d’un an à quatre ans, de stabiliser ainsi des parcours de résidence, fait partie des choses positives. Il n’empêche que ce projet de loi reste déséquilib­ré. Je m’explique : ce n’est pas interdit de penser le retour, notamment des personnes qui sont définitive­ment déboutées de leur demande. Mais tout en pensant l’éloignemen­t, il faut aussi penser l’accueil. Ce que le projet de loi ne fait pas bien, voire pas du tout. C’est en cela qu’il est déséquilib­ré. J’insiste : il n’y a aucun tabou à pouvoir reconduire des personnes qui ont eu accès à une procédure juste et équitable, mais encore faut-il qu’elles aient eu cet accès. Or aujourd’hui, vous avez des gens qui, à la frontière franco-italienne, à Paris, ou encore à Calais, sont à la rue et n’arrivent pas à accéder simplement à ce qui est leurs droits.

Quand vous dites que la reconducti­on n’est pas taboue, cela signifie que vous acceptez le distinguo que fait le pouvoir entre réfugiés et migrants économique­s ?

Je n’ai aucun problème à ce sujet. Je trouve que la distinctio­n asile-immigratio­n est une distinctio­n tout à fait normale, et qui est consacrée par notre droit. Mais j’ajoute : vous ne pouvez pas le déclarer a priori. Et ce n’est pas à la police de le déclarer. Pour faire cette distinctio­n, encore faut-il disposer d’un examen de la situation par les organismes qui en ont la charge. C’est-àdire à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra). Ce n’est pas à la police d’organiser le premier accueil des gens qui arrivent sur le territoire. On donne des tâches à la police qui sont invraisemb­lables. La police fait ce qu’elle sait faire. On lui demande de disperser les personnes, d’empêcher les regroupeme­nts, elle le fait. Mais ce n’est pas parce que vous dispersez les gens que vous avez traité le problème. Vous l’avez dispersé, vous l’avez rendu un peu invisible, mais vous n’avez rien traité du tout.

Avec derrière la volonté politique de dissuader les migrants de venir ?

Oui, mais la dissuasion, en l’occurrence, ne fonctionne pas. Bien sûr qu’il y a des règles du jeu à poser, et que ces règles doivent être respectées. Mais un grand pays comme le nôtre doit comprendre, et l’Union européenne doit comprendre, que quand des gens fuient l’enfer soudanais – et ce n’est pas une plaisanter­ie (le chef de l’état du Soudan, Omar El Béchir, est un type qui a audessus de la tête un mandat d’arrêt internatio­nal pour crime contre l’humanité) – quand ces gens traversent l’Afrique pour se retrouver en Libye dans des situations d’esclavage, traversent ensuite la mer, nos petits messages de dissuasion ne dissuadent personne. Ce n’est pas avec la maltraitan­ce qu’on traite des questions de migration, mais c’est avec une vision. C’est également en évitant de provoquer ou d’accélérer le chaos dans certains pays. À ce sujet, l’interventi­on en Libye en  a été une catastroph­e. Vous avez aujourd’hui un État failli avec des bandes rivales, des seigneurs de la guerre locaux qui s’affrontent. Je rencontrai­s récemment le responsabl­e du Hautcommis­sariat aux réfugiés (HCR) qui intervient en Libye et qui me disait qu’il ne pouvait se déplacer à Tripoli qu’avec trois gardes du corps et pas à plus de  kilomètres de Tripoli. C’est la réalité.

Vous évoquiez l’Ofpra. Quel regard portez-vous sur ses missions délocalisé­es au Niger ?

L’Ofpra fait un travail remarquabl­e de rénovation, d’ouverture au monde depuis quatre ans sous la direction de son directeur général Pascal Brice. Vraiment. Les sessions hors de nos frontières sont évidemment des mesures qui font partie de cette rénovation de l’outil Ofpra. Ouvrir des voies de migration légales depuis le Niger, faire en sorte que des gens qui sont sortis de l’enfer libyen et qui peuvent être éligibles au statut de réfugié ne risquent pas leur vie en mer et puissent être acheminés vers la France ou les pays européens est une très bonne idée. Mais se pose le problème de la solidarité européenne. Le HCR réclame aujourd’hui   places de réinstalla­tion à partir du Niger. Or, après avoir fait le tour des pays européens, la réponse n’est que de  . La France a décidé d’accueillir   personnes en provenance du Niger d’ici fin . Ce n’est pas rien. Il faut saluer ce geste. Mais par rapport au problème posé collective­ment, les Européens ne sont pas à la hauteur. Et donc, à partir de ce moment-là, nous aurons d’autres éléments de crise à affronter.

La dissuasion en matière de migration ne fonctionne pas”

Vous avez déclaré à propos d’Emmanuel Macron qu’il «

a gagné grâce à la gauche morale

». Vous êtes déçu aujourd’hui par sa gestion du défi migratoire ?

J’attendais plus et mieux. J’attendais surtout de la recherche de consensus sur cette question. La recherche d’une approche commune, d’un apaisement. Parce que je pense que le pays en a besoin, et qu’il a besoin de pédagogie sur cette question. Or, ce travail de pédagogie n’est pas fait aujourd’hui. Compte tenu du contexte politique dans lequel Emmanuel Macron est arrivé au pouvoir, je ne suis pas déçu. De mon point de vue, c’était sans doute la solution la plus sage. Mais sur cette question de l’immigratio­n, j’attendais une position plus équilibrée. Je l’ai dit aussi : pour faire fonctionne­r ce pays, il faut marcher sur ses deux jambes. Or je trouve que franchemen­t, on marche aujourd’hui beaucoup plus sur la jambe droite.

Pour faire référence à la structure que vous dirigez, la France est-elle encore aujourd’hui une terre d’asile ?

Mais oui, la France reste une terre d’asile. Mais c’est un combat permanent, ce n’est pas quelque chose qui est donné, attribué. Vous savez, on dit souvent que la France est le pays des Droits de l’homme. Non, la France est le pays de la Déclaratio­n des droits de l’homme… 1. À partir de 18h30 à la Maison du Numérique et de l’Innovation, place GeorgesPom­pidou à Toulon.

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(Photo DR)

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