L’arme fatale
Le logiciel Hyperbase
Hyperbase. C’est l’arme fatale utilisée par Damon Mayaffre avec son équipe à Nice, au laboratoire CNRS Bases, Corpus et Langage, fondé par Etienne Brunet. « Il s’agit d’un logiciel que nous développons au CNRS et à l’université de Nice Sophia Antipolis. Il est nationalement et internationalement connu. Il permet de repérer automatiquement les mots utilisés, mais aussi les tournures de phrases, les catégories grammaticales ou les enchaînements syntaxiques privilégiés. » La mission des chercheurs azuréens : « Mieux comprendre le message fondamental et, peut-être, le message caché des discours. Sans parler de manipulation, on peut penser que les hommes politiques cherchent à nous convaincre par des arguments plus ou moins explicites ». «Or le logiciel, sans apporter une preuve définitive, nous donne de très forts indices, sur la base desquels peut commencer l’interprétation. »
Mais quand il fustige fainéants” ou le bordel” ,ilyauncôté “cash” très sarkozyste !
Certes. Mais sur un terrain plus statistique, le discours de Sarkozy est beaucoup plus négatif. Quasiment une phrase sur trois est une négation, contre une sur cinq chez Macron. On constate néanmoins que Macron sait imiter Sarkozy avec un discours dissensuel, ou non consensuel. Il pense sans doute que, pour affirmer son autorité à l’opposé d’un Hollande, il doit affirmer ce côté régalien qui sait dire “oui”, mais aussi “non”.
L’outrance verbale est une façon de montrer qu’on fait bouger les choses ?
Macron cherche à incarner une forme de rupture. Faute de pouvoir l’incarner à travers des mesures économiques – qui s’inscrivent dans le consensus européen de ces trente dernières années – il marque cette rupture par le discours, à travers la
« Lui président », de quel prédécesseur Macron se rapproche-t-il le plus ?
S’il faut choisir : du discours de Giscard. Macron lui reprend son double positionnement : assez orthodoxe économiquement, assez avant-gardiste sociétalement. Ce n’est pas un président “bobo” mais “lib-lib” : libéral et libertaire. Tout est dit quand on regarde son gouvernement ! Et puis, il y a l’âge, forcément. En , Giscard avait la quarantaine, alors que ses prédécesseurs en avaient , … Et on ne parle pas de la même manière à et à ans.
Macron est un président jeune mais qui use d’un vocabulaire parfois désuet, à l’image de sa « poudre de perlimpinpin » …
Cela traduit sa volonté d’afficher une continuité de la parole présidentielle. C’est un clin d’oeil volontaire aux années cinquante, soixante ou soixante-dix. À ses yeux, ces formules un peu vintage assoient sa crédibilité et son autorité. A cela s’ajoute sans doute une certaine jouissance de la parole.
Et lors de sa campagne, de qui est-il le plus proche à l’oral ? Statistiquement, de Ségolène Royal. Quand on y repense, son discours en , s’il n’a pas été gagnant, était lui aussi flou, transpartisan, avec une volonté d’incarner une nouveauté. À tel point que les “éléphants” du PS l’avaient lâchée, ne se reconnaissant pas dans ce discours d’électron libre, un peu mystique.
Les mots du Macron président sont-ils très éloignés du Macron candidat ?
Pendant la campagne électorale, le discours de Macron est fuyant, avec un vide remarquable au niveau du contenu politique. Il traduit un hymne à la “transformation” ,au “changement” ,au “projet”, et fuit les mots forts comme “nation”, “peuple” ou “immigration” .Une fois élu, il assume des prises de position plus nettes. La posture “jupiterienne” s’est exacerbée avec l’élection présidentielle : le “nous” s’effondre au profit du “je”. Macron est passé du statut d’outsider à une posture hégémonique où son “je” finit par englober l’ensemble de l’agora.
Aujourd’hui, que reste-t-il du fameux “Et en même temps” ?
Durant la campagne, il est établi statistiquement qu’il l’a utilisé de manière presque éhontée… et revendiquée! Maintenant qu’il est président, il a moins besoin de ménager la chèvre et le chou. Il l’utilise donc moins, même si cette expression n’a pas complètement disparu.
Après la campagne, le “nous” s’effondre au profit du “je” »
Selon vous, les mots vont-ils continuer à être les alliés de Macron ? Ou peuvent-ils se retourner contre lui ?
On a très vite fait de trébucher sur un mot. Car un même mot peut avoir une connotation négative ou positive. Ses mots savants peuvent être ressentis comme une forme de mépris populaire, de déconnexion des préoccupations quotidiennes. Jusqu’ici, on lui fait plutôt crédit de ses innovations lexicales. Pour l’instant, ils sont ses alliés. Mais ils peuvent aussi devenir son péché mignon.