Intelligence artificielle: ne pas dire «qui est là», mais «quoi est là» Semaine du cerveau
Chercheur à l’Inria, Thierry Vieville revient sur le mythe du robot qui dépasserait l’humain ; mais il s’inquiète aussi des algorithmes qui ont déjà bouleversé nos vies
Thierry Vieville est directeur de recherches en Neurosciences Computationnelles à l’Inria Sophia Antipolis. Ce spécialiste de l’intelligence artificielle interviendra sur plusieurs événements au cours de la semaine du cerveau. Rencontre.
Grâce à l’intelligence artificielle, on tente de se rapprocher de plus en plus du cerveau humain. L’ordinateur nous supplantera-t-il un jour ?
Le cerveau et l’ordinateur n’ont rien à voir. Un cerveau humain possède près de milliards de neurones, connectés chacun à synapses, elles-mêmes dotées de mécanismes sophitiqués… cela est plus complexe que tous les ordinateurs du monde. En revanche, il est très lent; chaque neurone traite moins de informations par seconde, mais milliards de neurones font cela en parallèle. Un ordinateur calculera bien plus vite mais de manière moins distribuée. Notre cerveau est par ailleurs superrésistant aux pannes ; on découvre ainsi post mortem des cerveaux extrêmement endommagés chez des patients qui ont vécu normalement. L’ordinateur est bien moins résistant ; s’il y a un bug, il est rare qu’il se relève. En résumé, il n’est pas fructueux d’essayer de simplement copier l’un sur l’autre. C’est un peu comme mettre des plumes à un avion pour qu’il vole!
Vous vous positionnez comme un « anti-intelligence artificielle (IA) ». Et pourtant vous en faites…
Oui dans la mesure où ce qui me semble intéressant, c’est de confronter l’intelligence artificielle au fonctionnement du cerveau. C’est dans leurs différences que l’on a quelque chose à apprendre : qu’est ce qui distingue le vol de l’avion (à supposer que l’avion soit l’ordinateur) du vol de l’oiseau ? Qu’ont-ils de commun ?
C’est ainsi que plus en plus de tâches peuvent être déléguées à des machines.
très ancien, et… plutôt masculin. D’une part, celui de l’esclave qui va travailler pour nous. On le retrouve dans le mythe du Golem (dans la mythologie juive, le Golem est un être fait d’argile, incapable de parole et dépourvu de libre arbitre façonné afin d’assister ou de défendre son
par votre position résolument antiintelligence artificielle ?
Je veux faire comprendre que l’IA telle qu’on en parle souvent est un mythe. Le mythe de l’IA ce n’est pas de la science, c’est de la pseudoscience. Alors, croire à une IA qui supplanterait l’humanité, pourquoi pas ? Après tout, ce n’est jamais que parler d’une divinité et on a le droit de croire en des divinités. Mais, il faut nommer les choses. Plus grave est la démarche des GAFAMs (acronyme constitué des géants les plus connus, Google, Apple, Facebook, Amazon, Microdoft, Ndlr) qui tiennent des discours du type : il ne faut surtout pas faire des robots méchants, il faut discuter de l’IA… Ils n’appellent pas ça l’IA, mais ils ont déjà imposé des logiciels extrêmement intrusifs, qui contiennent tous les ingrédients de l’IA et qui prennent des décisions très importantes. Notre monde est déjà bouleversé par l’IA : l’automatisation par les algorithmes va détruire % de nos emplois, selon Gilles Dowek et Serge Abiteboul (auteurs de « Le temps des Algorithmes », Ndlr).
Quid de l’intelligence artificielle au service du transhumanisme (qui propose d’augmenter les capacités humaines) ?
Je voudrais mettre en garde contre les hurluberlus qui nous disent : « Demain à vous l’éternité avec les organes remplacés ! » Attention, ces gens, les transhumanistes, ne nous parlent pas de nous, mais d’eux. Cette vision d’une société dans laquelle on pourrait améliorer notre corps, n’est pas nouvelle. Il y a un demi-siècle, on fabriquait ainsi de très beaux bébés, c’était le Lebensborn (programme de naissance d’enfants au physique aryen, Ndlr), et on était en Allemagne nazie. Ceux qui vont jusqu’au bout de tout ça flirtent avec les pires idéologies de l’humanité.
Peut-on, doit-on faire marche arrière ?
Pour l’instant, personne ne nous oblige à utiliser telle ou telle technologie. Par contre si on ne comprend pas comment ça marche, on ne peut rien choisir et on risque de se faire arnaquer, se fourvoyer. Donc, oui, il faut pourvoir choisir, en s’initiant tous à la pensée informatique pour comprendre le numérique. Ensuite, il s’agit de n’être ni technophile ni technophobe, mais technocritique. - Conférence «Et si au lieu de parler d’intelligence artificielle, je savais comment ça marche?» Jeudi 15 mars à 19 h. Salle Paul GILARDI, 679, Chemin des Combes à Biot. Tout public. - Ciné-débat avec projection du film « Ex Machina » Lundi 12 Mars à 20 h 30. Cinéma de Valbonne «Les Visiteurs du soir ». Tout public.