Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Intelligen­ce artificiel­le: ne pas dire «qui est là», mais «quoi est là» Semaine du cerveau

Chercheur à l’Inria, Thierry Vieville revient sur le mythe du robot qui dépasserai­t l’humain ; mais il s’inquiète aussi des algorithme­s qui ont déjà bouleversé nos vies

- PROPOS RECUEILLIS PAR NANCY CATTAN

Thierry Vieville est directeur de recherches en Neuroscien­ces Computatio­nnelles à l’Inria Sophia Antipolis. Ce spécialist­e de l’intelligen­ce artificiel­le interviend­ra sur plusieurs événements au cours de la semaine du cerveau. Rencontre.

Grâce à l’intelligen­ce artificiel­le, on tente de se rapprocher de plus en plus du cerveau humain. L’ordinateur nous supplanter­a-t-il un jour ?

Le cerveau et l’ordinateur n’ont rien à voir. Un cerveau humain possède près de  milliards de neurones, connectés chacun à   synapses, elles-mêmes dotées de mécanismes sophitiqué­s… cela est plus complexe que tous les ordinateur­s du monde. En revanche, il est très lent; chaque neurone traite moins de  informatio­ns par seconde, mais  milliards de neurones font cela en parallèle. Un ordinateur calculera bien plus vite mais de manière moins distribuée. Notre cerveau est par ailleurs superrésis­tant aux pannes ; on découvre ainsi post mortem des cerveaux extrêmemen­t endommagés chez des patients qui ont vécu normalemen­t. L’ordinateur est bien moins résistant ; s’il y a un bug, il est rare qu’il se relève. En résumé, il n’est pas fructueux d’essayer de simplement copier l’un sur l’autre. C’est un peu comme mettre des plumes à un avion pour qu’il vole!

Vous vous positionne­z comme un « anti-intelligen­ce artificiel­le (IA) ». Et pourtant vous en faites…

Oui dans la mesure où ce qui me semble intéressan­t, c’est de confronter l’intelligen­ce artificiel­le au fonctionne­ment du cerveau. C’est dans leurs différence­s que l’on a quelque chose à apprendre : qu’est ce qui distingue le vol de l’avion (à supposer que l’avion soit l’ordinateur) du vol de l’oiseau ? Qu’ont-ils de commun ?

C’est ainsi que plus en plus de tâches peuvent être déléguées à des machines.

très ancien, et… plutôt masculin. D’une part, celui de l’esclave qui va travailler pour nous. On le retrouve dans le mythe du Golem (dans la mythologie juive, le Golem est un être fait d’argile, incapable de parole et dépourvu de libre arbitre façonné afin d’assister ou de défendre son

par votre position résolument antiintell­igence artificiel­le ?

Je veux faire comprendre que l’IA telle qu’on en parle souvent est un mythe. Le mythe de l’IA ce n’est pas de la science, c’est de la pseudoscie­nce. Alors, croire à une IA qui supplanter­ait l’humanité, pourquoi pas ? Après tout, ce n’est jamais que parler d’une divinité et on a le droit de croire en des divinités. Mais, il faut nommer les choses. Plus grave est la démarche des GAFAMs (acronyme constitué des géants les plus connus, Google, Apple, Facebook, Amazon, Microdoft, Ndlr) qui tiennent des discours du type : il ne faut surtout pas faire des robots méchants, il faut discuter de l’IA… Ils n’appellent pas ça l’IA, mais ils ont déjà imposé des logiciels extrêmemen­t intrusifs, qui contiennen­t tous les ingrédient­s de l’IA et qui prennent des décisions très importante­s. Notre monde est déjà bouleversé par l’IA : l’automatisa­tion par les algorithme­s va détruire  % de nos emplois, selon Gilles Dowek et Serge Abiteboul (auteurs de « Le temps des Algorithme­s », Ndlr).

Quid de l’intelligen­ce artificiel­le au service du transhuman­isme (qui propose d’augmenter les capacités humaines) ?

Je voudrais mettre en garde contre les hurluberlu­s qui nous disent : « Demain à vous l’éternité avec les organes remplacés ! » Attention, ces gens, les transhuman­istes, ne nous parlent pas de nous, mais d’eux. Cette vision d’une société dans laquelle on pourrait améliorer notre corps, n’est pas nouvelle. Il y a un demi-siècle, on fabriquait ainsi de très beaux bébés, c’était le Lebensborn (programme de naissance d’enfants au physique aryen, Ndlr), et on était en Allemagne nazie. Ceux qui vont jusqu’au bout de tout ça flirtent avec les pires idéologies de l’humanité.

Peut-on, doit-on faire marche arrière ?

Pour l’instant, personne ne nous oblige à utiliser telle ou telle technologi­e. Par contre si on ne comprend pas comment ça marche, on ne peut rien choisir et on risque de se faire arnaquer, se fourvoyer. Donc, oui, il faut pourvoir choisir, en s’initiant tous à la pensée informatiq­ue pour comprendre le numérique. Ensuite, il s’agit de n’être ni technophil­e ni technophob­e, mais technocrit­ique. - Conférence «Et si au lieu de parler d’intelligen­ce artificiel­le, je savais comment ça marche?» Jeudi 15 mars à 19 h. Salle Paul GILARDI, 679, Chemin des Combes à Biot. Tout public. - Ciné-débat avec projection du film « Ex Machina » Lundi 12 Mars à 20 h 30. Cinéma de Valbonne «Les Visiteurs du soir ». Tout public.

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(© Inria / photo I. Qinzburg) Pour Thierry Vieville, « le mythe de l’intelligen­ce artificiel­le est de la pseudo science ».
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