« Il faut un partenariat gagnant-gagnant » Interview
La femme d’affaires tunisienne et prix Nobel Ouided Bouchamaoui animera la grande conférence du salon Var Up qui se tiendra au Palais Neptune le 22 mars. Un parcours exemplaire
La grande patronne » comme l’appellent les Tunisiens a présidé pendant sept ans l’Utica, l’équivalent du Medef en France. Avant d’animer la grande conférence du salon Var Up, dédié aux entreprises, nous lui avons demandé ses conseils d’entrepreneure et comment elle voyait l’avenir économique de nos deux pays.
Vous serez l’invitée d’honneur du salon et, à ce titre, la première femme depuis seize ans que cet événement existe. Qu’estce que cela vous inspire ?
C’est un grand honneur pour moi en tant que femme tunisienne, chef d’entreprise et lauréate du prix Nobel de la paix. La question de l’égalité des sexes est soulevée dans le monde entier. Des débats, des conférences, des interviews ont ce thème mais, dans la pratique, il reste énormément à faire. Je me dois de bien représenter les femmes, d’être le porte-drapeau et j’espère être à la hauteur.
Vous expliquez que la Tunisie est un modèle en termes de droit des femmes, même comparée à d’autres pays d’Occident. Quels enseignements pourrions-nous en tirer ici, dans le monde économique notamment ?
Tout d’abord, il faut savoir dépasser les préjugés. Tous les préjugés concernant les femmes ! Vous évoquez le modèle de la Tunisie qui est un bon exemple car, très tôt, dès , la Tunisie s’est dotée d’un code de statut personnel donnant aux femmes des droits que des pays occidentaux n’avaient pas encore octroyés. Il ne faut pas non plus sousestimer la capacité de travail des femmes, car il ne faut pas se focaliser sur le genre d’une personne. J’ai été la première femme du monde arabe, élue au poste de présidente du patronat. J’étais entourée d’hommes d’affaires qui ne m’ont jamais considérée autrement que comme une entrepreneure. Donc économiquement, politiquement ou socialement, nous devons nous attacher aux qualités d’une personne et non son genre.
En , au moment de recevoir la Légion d’honneur des mains du président Hollande, vous disiez qu’il fallait aider la réussite de la transition économique et sociale. La situation a-t-elle évolué depuis ?
La transition politique ne peut réussir sans une transition économique. Certes, nous avons réussi la transition politique et la Tunisie est un pays démocratique, mais cette démocratie reste fragile car les attentes des jeunes et des régions sont encore d’actualités. Il y a eu un progrès dans l’amélioration du climat des affaires, mais les réformes sont toujours un peu lentes. Il faut que le gouvernement soit plus audacieux. Il se doit d’encourager les initiatives privées, de réduire la bureaucratie et programmer de grands projets créateurs d’emploi dans les régions.
La France étant le premier partenaire économique de la Tunisie, vous parliez aussi de renforcer la coopération entre les deux pays par les investissements. Est-ce le cas aujourd’hui ?
La France est notre partenaire depuis toujours. Les entreprises françaises installées en Tunisie n’ont pas quitté le pays après la révolution et en soi, c’est un acte de solidarité démontrant la conviction des Français à nous soutenir. Pour autant, il faut renforcer l’axe de travail sur un partenariat gagnantgagnant. La Tunisie pourrait être un hub pour l’Afrique. Pour cela, la coopération pourrait porter sur les domaines des Tics, de l’aéronautique et des secteurs à grande valeur ajoutée.
Quels conseils donnezvous aujourd’hui aux entreprises d’un côté comme de l’autre de la Méditerranée ?
Il faut croire en notre potentiel, malgré les obstacles, malgré les crises qui nous touchent. Il reste beaucoup de secteurs à développer ensemble. Comme je l’ai déjà dit, la coopération est primordiale pour la région Méditerranée. Notre développement est lié à différents niveaux et l’on se doit de construire et d’établir des stratégies main dans la main.
La démocratie tunisienne est toujours fragile. Il faut redonner de la confiance pour encourager les investisseurs. Sentez-vous un changement ?
La démocratie reste fragile, tant que l’économie du pays est fragile et tant qu’il n’y a pas ou peu de croissance. La réussite est intimement liée au développement et au bienêtre, mais ceci n’est possible que lorsqu’il y a la confiance des investisseurs. Elle ne s’obtient que par la stabilité politique, fiscale, législative et surtout sécuritaire. La Tunisie est sur la bonne voie, mais il faut que le gouvernement accélère le rythme des réformes, réduise la bureaucratie et surtout crée une stabilité fiscale.