Var-Matin (La Seyne / Sanary)

«Mon métier, c’est celui d’un témoin »

- PROPOS RECUEILLIS PAR G. S.

Invitée du troisième Salon du livre, justice et droit, aujourd’hui à Toulon, Pascale Robert-Diard, chroniqueu­r judiciaire au Monde depuis 2002, connaît bien les prétoires. Ces lieux où des hommes et des femmes arbitrent chaque jour les passions, les intérêts et la liberté de leurs semblables. Témoin aussi passionnée qu’impitoyabl­e des scènes qui se jouent dans les palais, elle saisit tout. Son regard aiguisé enregistre avec subtilité, le décor, l’atmosphère et les êtres surtout. Les robes noires à rabats blancs, les prévenus, les accusés, les différents acteurs du procès. À travers leurs gestes, leurs visages, leur éloquence, leurs paroles ou leurs silences, c’est l’humanité de la justice qu’elle aime à surprendre. Dans ses articles frappants de réalisme et de profondeur, elle précipite le lecteur à ses côtés, au coeur de la vie judiciaire quotidienn­e rendue au nom du peuple français. La Part du juge, qu’elle publie aux éditions Arkhe, elle l’a traquée et largement éprouvée. Rencontre.

Qu’est-ce que le travail du chroniqueu­r judiciaire ?

La justice est publique, rendue en notre nom à tous, mais rares sont les personnes qui se pressent dans les palais. Mon métier, c’est d’y entrer, de m’asseoir sur un banc et d’ouvrir un carnet pour témoigner. Je suis là pour dire comment la justice est rendue. Aux assises, je regarde, je vois la manière dont se construit une vérité judiciaire. La manière dont les forces en présence s’exercent. Comment les versions qui sont présentées vont s’opposer, se contredire et celle qui va triompher. Comment, au bout du processus de constructi­on d’une intime conviction, va naître une décision de justice.

Qu’est-ce qui vous attire tant dans ces procès ?

Tous les mouvements de la société viennent résonner dans les prétoires. Ce qui m’intéresse, c’est de voir par quels mécanismes la décision va être prise. Pourquoi telle personne va être condamnée, acquittée, relaxée, pourquoi telle peine va être prononcée, qu’est-ce que cela dit de l’évolution d’une société. À la dix-septième chambre() par exemple, dans laquelle j’aime à me trouver, à travers un cas singulier, se définit chaque jour : de quoi a-ton le droit de rire dans notre société, jusqu’où peut-on blesser, quelles sont les bornes de la liberté d’expression par rapport à la vie privée.

Sur quoi votre regard est-il principale­ment porté ?

Je note tout, les mots, les silences, les hésitation­s, la gestuelle et surtout l’effet des mots. Ce qui fait la force inégalée de l’audience, c’est que les mots tombent en même temps, sur tout le monde. Pour caricature­r, l’histoire de l’enfance malheureus­e d’un accusé va être entendue par la famille de la victime, dont la douleur sera inévitable­ment entendue en retour par l’accusé. Ce sont des moments extrêmemen­t forts que je m’évertue à raconter.

Quel message souhaitez-vous donner à votre lecteur ?

Lorsque j’écris mon papier, je veux que le lecteur ait le sentiment d’être à mes côtés. Si mon regard agit nécessaire­ment comme un filtre, il reste qu’il ne peut pas se tromper, ni sur le moment où un témoin va faire basculer l’audience, ni sur le moment où un argument va l’emporter sur un autre et encore moins, dans la manière dont le mécanisme de l’intime conviction va se cristallis­er. De ma place privilégié­e je viens dire au lecteur : « Viens, assieds-toi à côté de moi, regarde, souris, pleure, sois ému », comme moi j’ai pu être émue, j’ai pu pleurer, sourire, être choquée ou exaspérée. 1.Chambre correction­nelle spécialisé­e du tribunal de grande instance de Paris en matière de droit de la presse. Savoir + Salon Livres, Justice et Droit, de 9 heures à 19 heures, à la Faculté de droit. Intervenan­ts multiples : avocats, magistrats, journalist­es, écrivains. Entrée gratuite et ouverte à tous. Rens. : 04.94.27.50.70.

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(Photo DR) « Lorsque j’écris mon papier, je veux que le lecteur ait le sentiment d’être à mes côtés », assure Pascale Robert-Diard, chroniqueu­r judiciaire pour le journal Le Monde.

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