La mort mystérieuse de Blandine Liszt à Saint-Tropez
Lorsque Blandine naquit, à Genève, le 18 décembre 1835, son père, Franz Liszt, qui était l’un des plus grands pianistes et compositeurs du XIXe siècle, écrivit une oeuvre intitulée Les Cloches de Genève. Les pianistes la jouent toujours aujourd’hui, mais en ignorent l’origine familiale. La mère de Blandine était elle aussi célèbre: l’écrivain Marie d’Agoult. Franz Liszt et elle n’étaient pas mariés et avaient fui en Suisse les commentaires parisiens sur leur liaison scandaleuse. Blandine était le premier enfant du couple. Viendraient ensuite une soeur, Cosima, future épouse du grand compositeur Richard Wagner, et un garçon, Daniel. En 1856 (vingt ans plus tard, donc) dans le salon littéraire tenu par sa mère à Paris, Blandine croise des écrivains et des défenseurs de la République. Parmi eux, un homme politique issu de notre région, né à Marseille, fils d’un député républicain : Émile Ollivier, fils de Démosthène Ollivier. Au milieu des tapisseries du salon maternel et des envolées républicaines sur l’avenir du pays, ils tombent amoureux. Comme dans les milieux artistiques huppés, on ne se marie pas à l’église du quartier. L’union de Blandine et d’Émile se fera donc à Florence, le 22 octobre 1857. Trois ans après, Émile Ollivier achète à Saint-Tropez le château de la Moutte, qui se dresse au milieu d’un parc planté d’essences méditerranéennes. Blandine est heureuse. Elle décrit le lieu à son père : « Ce pays est exquis. La mer s’y découpe en petites baies, ce qui lui donne des aspects multiples. Des collines arrondies, des bois de pins pignons, la pleine mer avec ses grosses vagues, son large horizon, puis des golfes paisibles comme des lacs, encaissés dans de jolies montagnes bleues, le tout est éclairé par un soleil étincelant... »
La tristesse de Blandine inquiète
En octobre 1861, elle est enceinte. Le bonheur ! Elle a 24 ans. La grossesse se déroule normalement – malgré une fatigue notée dans son journal par son beaufrère, Richard Wagner, lors d’une visite à Paris en février 1862: «Depuis l’été, Blandine semble avoir beaucoup changé : elle est triste et sérieuse; je crus remarquer qu’elle était enceinte. J’eus le coeur serré, lorsque je leur dis adieu, Blandine me jeta un regard d’une infinie mélancolie ». Blandine reste à Paris jusqu’en mai. Puis elle se rend à Gémenos, dans les Bouches-du-Rhône, chez le beau-frère de son mari, Charles Isnard, chirurgien. L’accouchement intervient normalement, le 3 juillet 1862. Un garçon vient au monde. Blandine l’appelle Daniel, en souvenir de son frère cadet, mort de tuberculose quelques mois plus tôt, à l’âge de 20 ans. L’accouchement s’est bien passé, mais les jours suivants, Blandine commence à faiblir de manière inquiétante. Isnard ne comprend pas ce qui arrive. Blandine demande à être conduite dans sa propriété de SaintTropez. Le transport – 120 kilomètres - et la chaleur l’épuisent. Elle meurt le 11 septembre.
Plusieurs hypothèses autour de son décès
Les deux médecins qui l’ont suivie les dernières semaines de sa vie ne trouvent aucune cause à son décès. Cette mort mystérieuse a fait l’objet d’une publication récente, en 2014, dans L’Histoire des sciences médicales, par Dominique Mabin. L’hypothèse d’une grave anémie est avancée. Le rapport révèle qu’une incision a été faite le 16 août par le docteur Isnard qui craignait une infection. « Mais, remarque le rapport, le décès n’eut lieu que vingt-cinq jours après, ce qui est long pour une septicémie supposée. » L’étude conclut sur une mort inexpliquée. Daniel, le fils de Blandine, n’aura donc pas connu sa mère. Il restera plus tard dans notre région, où il épousera la petite-fille du préfet des Alpes-Maritimes Marc-Joseph Dubouchage. Au cimetière marin de SaintTropez, sous une dalle de marbre, Blandine repose face à l’infini de la mer. Son père, Franz Liszt, absent à ses obsèques, est venu se recueillir en ce lieu plusieurs mois après sa mort. Il s’est agenouillé devant la tombe, se souvenant des jours radieux où, pour lui, Blandine était l’«enfant le plus silencieux, le plus doucement grave, le plus philosophiquement gai du monde. »