Var-Matin (La Seyne / Sanary)

C. Villani: «L’intelligen­ce artificiel­le, une priorité»

L’ancien élève du lycée Dumont-d’Urville à Toulon, devenu député LREM de l’Essonne en juin dernier, s’apprête à rendre un rapport attendu sur ce sujet qui soulève espoirs et angoisses Les sciences font partie de notre culture”

- PROPOS RECUEILLIS PAR P.-L. PAGÈS plpages@varmatin.com

Reconnaiss­able aux araignées qu’il porte systématiq­uement en broche sur le revers de ses vestes, mais reconnu pour sa médaille Fields (l’équivalent, pour les mathématiq­ues, du prix Nobel) obtenue en 2010, le « Spiderman » de la Macronie, Cédric Villani, invite la France à prendre l’intelligen­ce artificiel­le à brasle-corps.

Jeudi prochain, vous rendrez votre rapport sur l’intelligen­ce artificiel­le (IA). Quels enseigneme­nts tirez-vous de la mission qui vous a été confiée ?

Tout d’abord que l’IA est un sujet global. On ne peut pas confiner l’IA à la recherche ou à l’ingénierie. On doit l’envisager dans toutes ses dimensions. Aussi le rapport abordera des volets aussi variés que la politique économique, la politique de recherche, le développem­ent dans différents secteurs : la santé, les transports, l’environnem­ent, la Défense… Il abordera aussi des questions éthiques et d’emploi. L’IA est un sujet passionnan­t à traiter parce qu’elle nous a forcés à adopter un regard à  degrés. Deuxième point important : l’IA est un sujet sur lequel il est urgent de se pencher, tant la compétitio­n internatio­nale est déjà considérab­le en la matière.

Justement, comment la France se situe-t-elle ?

La France n’est pas dans le peloton de tête. Elle accuse même un retard sérieux sur d’autres nations comme les États-Unis, le Canada, l’Angleterre, ou encore Israël. En revanche, elle a un rôle important à jouer pour tenter de réveiller l’Union européenne sur le sujet. J’insiste, mais la compétitio­n internatio­nale va être féroce sur la question des ressources humaines, de l’intelligen­ce humaine, en matière d’IA. Cela va nous obliger à revoir l’attractivi­té de nos filières scientifiq­ues, à réviser nos processus d’organisati­on de la recherche, ainsi que l’interface entre le monde de la recherche et le monde de l’industrie. Par ailleurs, on va devoir mettre en place une politique d’éducation et de formation très incitative sur ces sujets.

On met tout un tas de choses derrière l’IA. Beaucoup d’espoirs, mais aussi des peurs. Si vous deviez en donner une définition rassurante ?

Il n’existe pas vraiment de définition de l’IA. C’est n’importe quel processus algorithmi­que avancé qui cherche à donner des réponses fines et donc à être un outil aussi perfection­né que possible. Mais pour rassurer, disons que l’IA englobe l’ensemble des processus automatisé­s qui sont là pour aider les humains au mieux, à avoir des services aussi efficaces que possible, à prendre les décisions avec la meilleure informatio­n possible, à prendre le relais de tâches qui sont pénibles et peuvent être automatisa­bles.

La Défense n’échappera pas à l’IA. N’y a-t-il pas un risque de déshumanis­er encore un peu plus la guerre ?

Du fait qu’il n’y a pas de définition claire de l’IA, il n’y a pas non plus de définition claire de ce qu’est une arme « intelligen­te ». Mais en matière de Défense, ce qui est sûr, c’est que ne pas équiper notre armement, notre arsenal, des outils ad hoc serait pour le coup un vrai danger. Il y aurait là de quoi avoir des sueurs froides parce que les grandes armées, elles, sont en train de s’équiper. Que ce soit aux États-Unis, en Chine, en Russie ou ailleurs… Si l’Europe se trouvait dans la situation où elle est le seul continent à ne pas intégrer l’IA à son armement, il y aurait un vrai danger. Cela n’empêche pas qu’on doit rester attaché au principe de la responsabi­lité humaine. Mais si vos craintes sont de voir un robot entièremen­t en pouvoir de décision sur le champ de bataille, je vous rassure, ce n’est pas pour demain. C’est encore de la science-fiction. Dans les guerres, on a bien plus à craindre des humains.

Les accidents mortels impliquant une voiture sans chauffeur ne plaident pas en faveur de l’IA...

Je ne suis pas inquiet sur cette question. Il va s’écouler un moment encore, les acteurs sont d’accord là-dessus, avant que les voitures autonomes aient le même niveau de sûreté que les humains. Les constructe­urs recherchen­t tous à atteindre un niveau de sûreté très supérieur à celui des humains pour pouvoir commercial­iser leurs modèles sans encombre. Ils cherchent un facteur  de sécurité en plus. Ils y arriveront. Et à terme, peut-être dans une dizaine d’années – les experts ne sont pas d’accord sur les estimation­s –, la voiture automatiqu­e sera plus sûre que la voiture conduite par des humains. Vous qui êtes pro-européen, que vous inspirent les résultats des dernières élections en Italie, en Autriche ou ailleurs ? C’est une grande douleur pour moi, douleur politique, s’entend. On assiste à une augmentati­on de la prise en compte de discours qui sont dans le repli, dans la peur. On assiste aussi à une perte de confiance des États les uns envers les autres au sein de l’Europe. Et l’on voit l’arrivée de certains acteurs résolument anti-européens qui prennent beaucoup d’ampleur, comme l’AfD en Allemagne, le Mouvement Cinq étoiles en Italie, le parti au pouvoir en Autriche, les gouverneme­nts en Pologne et en Hongrie. C’est une nouvelle situation très délicate.

Vous n’êtes pas très optimiste ?

Être optimiste, c’est un état d’esprit. Vous l’êtes ou pas. Ça ne dépend pas tellement de la situation. Mais disons qu’on a connu des contextes beaucoup plus favorables. Et cela se produit au moment où les plus gros enjeux politiques ont plus que jamais besoin d’être traités à l’échelle européenne. Que ce soient les questions environnem­entales, la lutte contre le dérèglemen­t climatique ou les politiques économique­s. Ce repli sur soi tombe donc très mal. Les questions migratoire­s, notamment au travers des accords de Dublin, sont un autre exemple type et absurde de ce à quoi on arrive si on ne se fait pas confiance entre États. Il existe heureuseme­nt quelques signes d’espoir. En France, tout d’abord, où le président de la République a été élu sur un programme qui remet l’Europe au coeur du projet.

Venons-en à vos premières amours : les mathématiq­ues. Que faut-il faire pour les rendre plus attirantes ?

Il faut les voir comme quelque chose qui n’est pas inquiétant. Qui n’est pas anxiogène. Les montrer comme quelque chose qui vient en accompagne­ment de beaucoup de sujets, y compris dans la vie quotidienn­e, et les penser comme quelque chose qui peut s’aborder par de nombreux biais. Des biais ludiques, des biais coopératif­s, des biais sociaux, des biais utilitaire­s, des biais historique­s. Les mathématiq­ues, c’est tout ça. Ça fait partie de notre culture, de notre histoire, de notre façon de penser.

Les références continues aux grands penseurs du « siècle des Lumières » ne sont-elles pas responsabl­es de ce désamour pour les sciences ?

Depuis relativeme­nt assez peu de temps, l’idée qu’on devient homme, citoyen, cultivé, à travers les textes et non à travers les différente­s technologi­es et la manipulati­on s’est effectivem­ent imposée. C’est une erreur et c’est pour ça que dans mes discours, je ne perds pas une occasion de rappeler que la culture scientifiq­ue fait partie de la culture. Et qu’elle doit être considérée comme intégrée au bagage des citoyens. Et qu’on doit s’adresser à tout le monde, y compris à ceux qui ne feront jamais d’études scientifiq­ues, quand on aborde ce sujet. C’est l’objectif d’ailleurs de la nouvelle option mise en place au niveau du lycée, les « humanités scientifiq­ues et numériques ».

La France est en retard en matière d’IA”

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