: la cathédrale de Nice
Mgr Palletis est enseveli sous les décombres de la cathédrale, dont il avait voulu hâter les travaux de reconstruction, usant de pressions et de la menace d’excommunication
Nous sommes le 18 septembre 1658. Monseigneur Didier de Palletis a été nommé évêque de Nice quatorze ans plus tôt, en 1644. En ce jour qui est un mercredi, il est venu se rendre compte de l’avancement des travaux de reconstruction de la cathédrale SainteRéparate. C’est l’heure où les gens se rendent à la messe. Car, malgré les travaux, les offices continuent. Tout en observant l’arrivée des fidèles, Mgr Palletis parcourt du regard les piliers, les voûtes et la coupole nouvellement achevés. Il y a déjà huit ans que les travaux ont commencé. Il les a lancés en 1650. Et dire qu’il avait souhaité « qu’ils soient effectués rapidement ! » Les travaux ont débuté par le fond de l’église pour se poursuivre « à reculons », c’est-àdire depuis le choeur jusqu’à l’entrée principale. Pourquoi les travaux sont-ils aussi longs ? Afin de comprendre la situation, il faut remonter des années en arrière. Jusqu’au début du XVIe siècle, la cathédrale de Nice se trouvait sur la colline du château de Nice. En 1531, elle fut transférée en l’église Sainte-Réparate qui se trouvait au pied de la colline du château (lire encadré en page suivante). Lorsque Mgr Palletis arriva à son poste en 1644, il estima que cette église était trop petite pour être la cathédrale de Nice. Il décida donc de l’agrandir. Il en profita pour en modifier son architecture et son orientation : elle était rectangulaire, orientée nord-sud, elle prendrait la forme d’une croix latine, orientée estouest.
Les propriétaires voisins expropriés
Mgr Palletis était si pressé qu’il décida de commencer les travaux avant même d’en avoir trouvé le financement et d’avoir procédé aux expropriations des maisons voisines nécessaires à l’agrandissement du bâtiment ! Cela entraînera une série de situations invraisemblables, rapportées dans l’ouvrage de Georges Doublet, La cathédrale Sainte-Réparate, paru en 1935. En 1649, Mgr Palletis commence donc par choisir un architecte. Il s’agit d’un Niçois nommé JeanAndré Guiberto (lire encadré). En 1650, les démolitions commencent. Le choeur et la coupole de l’ancienne église sont abattus. Mgr Palletis demande d’attaquer au plus tôt la construction de la chapelle latérale, dans la nef droite de la cathédrale (côté nord). C’est la chapelle que les Niçois avaient fait voeu d’édifier pour mettre fin à la peste de 1631. « Vite » est le mot d’ordre de l’évêque. On se précipite donc. Mais on se précipite tellement qu’à peine achevée, la chapelle s’écroule. Comme cela se passe au milieu de la nuit, aucune victime n’est à déplorer… Et nul n’y voit un mauvais présage. Cette chapelle est reconstruite. Elle est devenue, aujourd’hui, celle dite du Saint Sacrement. La seconde chapelle à reconstruire, celle de Sainte-Rosalie, sur le côté gauche (côté sud) de la cathédrale, présente une particularité. Elle est la « propriété » de la ville. Mgr Palletis a beau réclamer une participation immédiate de 40 000 livres de la municipalité, cette somme ne vient pas. Sur l’insistance obsédante de l’évêque, les syndics de la ville se réunissent et décident de créer... une taxe sur le vin pour faire face aux dépenses induites par la reconstruction de la chapelle !
Les chanoines accusés de vol
Où les difficultés commencent, c’est lorsqu’il faut s’attaquer aux chapelles suivantes. Car là, il va falloir procéder aux expropriations des maisons voisines. La première est celle d’un commerçant, Jean-Baptiste Solaro. Lui n’est pas contrariant. C’est un ami de l’Église, trésorier du monastère de Laghet. Point n’est nécessaire de réquisitionner toute sa maison. Une surface de « 20 palmes sur 10 » (5 mètres 20 sur 2 mètres 60) suffira. Pour trouver l’argent, Mgr Palletis vendra quelques mètres carrés du proche palais épiscopal, situé à côté de la cathédrale, et l’affaire sera faite ! Les choses se passent plus difficilement avec l’immeuble suivant. Il appartient à un certain François Capello. Là encore, la surface requise n’est pas très importante, mais une destruction partielle de l’immeuble sera nécessaire. Capello fait le difficile. Il sent la bonne affaire. Il fait monter les prix. Les tractations durent. Le Sénat de Nice devra finalement envoyer à Capello un ordre de réquisition pour le faire céder. Où trouver à présent l’argent pour le payer ? Le secours viendra d’un orfèvre, André Turato. C’est lui qui financera l’achat. En récompense, il aura droit à sa chapelle privée dans la cathédrale. C’est l’actuelle chapelle Saint-Joseph. Le principe des « chapelles privées » n’était pas exceptionnel à l’époque. On pouvait être propriétaire d’une chapelle au sein d’une église, voire s’y faire enterrer. Cela permettait l’entretien et le financement des églises. Mgr Palletis va utiliser cette ressource. Ayant appris qu’un certain Barthélémy Rosso, riche propriétaire de Bellet, souhaitait acquérir une capelle en l’église Saint-Dominique, il va trouver sa famille pour la convaincre de transférer l’achat sur la cathédrale. Il emploie tous les arguments – jusqu’à celui de l’excommunication ! L’affaire se fait finalement et une nouvelle chapelle – devenue aujourd’hui chapelle Saint-Barthélémy - est construite en la cathédrale. Bon an mal an, les travaux avancent. Les dons arrivent. On le voit sur les livres de comptes examinés par Georges Doublet : « En 1651 : - Marquis des Baux, fils du prince Honoré II de Monaco: 6 écus et 3 livres. - Comtesse Lascaris : 126 livres. - Comte Monasterolo, gouverneur du château, 125 livres, etc. »