Var-Matin (La Seyne / Sanary)

« Avec l’attentat de Trèbes on franchit un seuil supplément­aire »

Gérôme Truc, sociologue, chercheur CNRS

- PROPOS RECUEILLIS PAR GRÉGORY LECLERC

Gérôme Truc,  ans, dont la famille est originaire du Var et de la région grassoise, est sociologue, chargé de recherches au CNRS, auteur du livre «Sidération­s. Une sociologie des attentats» (Presses universita­ires de France, Paris, )

Comment analysez-vous l’émotion collective autour de l’attentat de Trèbes ?

Il faut remettre les choses en perspectiv­e. Après les attentats de janvier et novembre , la plupart des Français qui vivent en régions étaient choqués. Mais ce n’est pas pour autant qu’ils se disaient que cela pouvait leur arriver demain, sauf à avoir des enfants étudiants à Paris par exemple. Cela a évolué en  avec Saint-Etienne-du-Rouvray, commune rurale, et Nice, qui constitue un tournant. C’était la première fois depuis  qu’on observait en Europe un attentat de masse ailleurs que dans une capitale. Avec l’attentat de Trèbes, on franchit un seuil supplément­aire car il s’agit d’un supermarch­é.

Le sacrifice du gendarme Beltrame a profondéme­nt marqué les conscience­s...

Cela fait partie du processus de réaction à un attentat. On s’identifie aux victimes, on compatit à leur peine. Mais on cherche aussi à en tirer des choses positives, d’où la focalisati­on sur des figures héroïques, comme Franck Terrier, l’homme au scooter, à Nice, ou Lassana Bathily à l’Hyper casher. Mais là, le héros n’est pas si ordinaire.

C’est-à-dire ?

Le cas du gendarme Beltrame me rappelle celui des policiers et pompiers héroïsés après le -Septembre pour être rentrés au péril de leur vie dans les tours du World Trade Center. Lui aussi est mort en « faisant son devoir », jusqu’au bout. En plus, il a pris la place d’une femme enceinte – un type de victime qui suscite généraleme­nt beaucoup d’émotion populaire.

Vous évoquez dans votre ouvrage la constructi­on du « nous » postattent­at, d’un « affermisse­ment du sens de la communauté ». Qu’entendez-vous par là ?

Dans des sociétés individual­istes comme la nôtre, la cohésion sociale ne va pas de soi. C’est précisémen­t pour ça que nous sommes vulnérable­s aux attentats. Selon sa position sociale, son lieu et son mode de vie, chacun se sent plus ou moins concerné, ce qui peut générer des tensions. C’est pourquoi les politiques s’empressent toujours de rappeler dans ces moments que nous sommes « tous concernés » en tant que Français. Mais dans les faits, on voit bien que l’affermisse­ment du sens du « nous » dans l’identifica­tion aux victimes se joue d’abord à d’autres niveaux : un « nous » parisiens ou niçois, un « nous » amateurs de concerts rock ; ou aujourd’hui un « nous » clients de supermarch­és.

La peur envahit-elle notre société ?

On ne peut pas parler de « lapeur » en général. Il y a une différence entre le fait d’avoir peur pour son pays, pour l’état du monde, et avoir peur pour soi, ou ses enfants. Après le  novembre, bien des Français ont sans doute eu peur pour la France en général. Mais sans que ce soit une peur directemen­t pour eux-mêmes et leurs proches. C’est ce qui peut changer avec Trèbes. Désormais, en allant au supermarch­é, chacun risque d’y penser… Une enquête pour apologie du terrorisme » a été ouverte à Foix (Ariège) après la publicatio­n sur les réseaux sociaux par une militante de la cause animale d’un message injuriant à l’égard du boucher du Super U de Trèbes, tué dans les attentats islamistes de Radouane Lakdim. Dans la nuit de lundi à mardi, les gendarmes ariégeois ont repéré ce message qui disait : «Ben quoi, ça vous choque un assassin qui se fait tuer par un terroriste ? Pas moi, j’ai zéro compassion pour lui, il y a quand même une justice ». Ce message, posté trois jours après la mort à Trèbes (Aude) du boucher du Super U, Christian Medves, une des quatre victimes du djihadiste Radouane Lakdim, a entraîné des réactions virulentes. La militante vegan qui l’avait posté l’a ensuite retiré.

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