L’ombre de Mai
Il y a ces slogans et ces graffitis qui fleurissent aux murs des amphis, et qui vont du sarcastique («La littérature est morte, vive le smartphone») à l’odieux (vu sur un mur de Paris- : «Frappez vite, frappez fort, un bon flic est un flic mort» ).Ilya ces AG fiévreuses où l’on exige, pêle-mêle, le retrait de la loi ORE («Orientation et réussite des étudiants»), la démission d’Emmanuel Macron (pardi), et «que tous les étudiants aient au moins à tous leurs partiels» (vous souriez, mais ça s’est déjà vu dans le passé). Il y a ces profs (minoritaires) qui s’emploient à saboter la réforme en refusant de trier les dossiers déposés par les lycéens dans le cadre du système Parcoursup. Il y a cette «autoconférence» surréaliste de la «commune libre de Tolbiac», entre Groland et réunion clandestine du FLNC, où trois jeunes femmes masquées accompagnées d’un chien philosophe expliquent doctement le sens de leur action : «Là, on bloque la production de savoirs institutionnels pour créer nos propres savoirs.» Textuel. Oui, il y a des côtés bouffons dans le mouvement qui est en train de se répandre à contretemps dans les universités, comme une parodie, un pastiche délavé de Mai-, dont l’ombre, ans après, plane toujours dans les esprits. Comment ne pas penser à la citation de Marx : «Tous les grands événements se répètent pour ainsi dire deux fois. La première comme tragédie, la seconde comme farce.» A ceci près que Mai- ne fut pas vraiment une tragédie (ce fut aussi un monome géant et soyons justes : les âneries débitées dans les AG d’alors valaient bien celles d’aujourd’hui). Et qu’on aurait tort de prendre trop à la blague cette réplique qui se cherche. La farce dit quelque chose de l’époque. Nous n’avons pas changé de France en mai . Le réveil d’un fonds contestataire qui n’attendait que l’occasion de se manifester, la persistance d’une radicalité antilibérale, anticapitaliste, la défiance envers le système politique, la rage d’une partie de la jeunesse contre le futur qu’on lui propose, l’angoisse de nombreux milieux face à ce qui leur apparaît comme un équarrissage du «modèle français»: tout cela, que l’on voit s’exprimer dans les mouvements sociaux en cours, ne s’est pas dissout dans la révolution macronienne. Selon un sondage Yougov (pour le HuffPost et CNews), une majorité de Français (% contre %) estiment qu’un mouvement «similaire à Mai serait nécessaire à la France de ». Les slogans qui leur parlent le plus ? «Elections piège à cons» chez les plus de ans. Et chez les - : «Je ne veux pas perdre ma vie à la gagner.» Le genre de signaux que les politiques auraient tort de ne pas entendre.
“Nous n’avons pas changé de France en mai 2017”