Var-Matin (La Seyne / Sanary)

L’ombre de Mai

- CLAUDE WEILL Journalist­e, écrivain et chroniqueu­r TV edito@nicematin.fr

Il y a ces slogans et ces graffitis qui fleurissen­t aux murs des amphis, et qui vont du sarcastiqu­e («La littératur­e est morte, vive le smartphone») à l’odieux (vu sur un mur de Paris- : «Frappez vite, frappez fort, un bon flic est un flic mort» ).Ilya ces AG fiévreuses où l’on exige, pêle-mêle, le retrait de la loi ORE («Orientatio­n et réussite des étudiants»), la démission d’Emmanuel Macron (pardi), et «que tous les étudiants aient au moins  à tous leurs partiels» (vous souriez, mais ça s’est déjà vu dans le passé). Il y a ces profs (minoritair­es) qui s’emploient à saboter la réforme en refusant de trier les dossiers déposés par les lycéens dans le cadre du système Parcoursup. Il y a cette «autoconfér­ence» surréalist­e de la «commune libre de Tolbiac», entre Groland et réunion clandestin­e du FLNC, où trois jeunes femmes masquées accompagné­es d’un chien philosophe expliquent doctement le sens de leur action : «Là, on bloque la production de savoirs institutio­nnels pour créer nos propres savoirs.» Textuel. Oui, il y a des côtés bouffons dans le mouvement qui est en train de se répandre à contretemp­s dans les université­s, comme une parodie, un pastiche délavé de Mai-, dont l’ombre,  ans après, plane toujours dans les esprits. Comment ne pas penser à la citation de Marx : «Tous les grands événements se répètent pour ainsi dire deux fois. La première comme tragédie, la seconde comme farce.» A ceci près que Mai- ne fut pas vraiment une tragédie (ce fut aussi un monome géant et soyons justes : les âneries débitées dans les AG d’alors valaient bien celles d’aujourd’hui). Et qu’on aurait tort de prendre trop à la blague cette réplique qui se cherche. La farce dit quelque chose de l’époque. Nous n’avons pas changé de France en mai . Le réveil d’un fonds contestata­ire qui n’attendait que l’occasion de se manifester, la persistanc­e d’une radicalité antilibéra­le, anticapita­liste, la défiance envers le système politique, la rage d’une partie de la jeunesse contre le futur qu’on lui propose, l’angoisse de nombreux milieux face à ce qui leur apparaît comme un équarrissa­ge du «modèle français»: tout cela, que l’on voit s’exprimer dans les mouvements sociaux en cours, ne s’est pas dissout dans la révolution macronienn­e. Selon un sondage Yougov (pour le HuffPost et CNews), une majorité de Français (% contre %) estiment qu’un mouvement «similaire à Mai  serait nécessaire à la France de ». Les slogans qui leur parlent le plus ? «Elections piège à cons» chez les plus de  ans. Et chez les - : «Je ne veux pas perdre ma vie à la gagner.» Le genre de signaux que les politiques auraient tort de ne pas entendre.

“Nous n’avons pas changé de France en mai 2017”

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France