Var-Matin (La Seyne / Sanary)

L’HISTOIRE

- ANDRÉ PEYREGNE

1832 : le poète Lamartine entre Toulon et Nice

C’est l’histoire d’un homme qui, au milieu du XVIIIe siècle, ayant fait fortune et voulant devenir noble, créa de toutes pièces un village afin d’en être le seigneur. Ce village s’appelle Brue. Il existe toujours, dans le départemen­t du Var, mais il est devenu Brue-Auriac. Cet homme si singulier porte un nom bien courant dans la région: Georges Roux. Georges Roux est né à Tino, en Corse, en 1 703. Son père, après avoir travaillé dans une île grecque où il avait amené sa famille, s’installa à Marseille pour commercer avec les Antilles. Une fois en âge de l’aider, Georges se rendit en Martinique et fit fortune. Il construisi­t un hôtel particulie­r à Marseille, rue Montgrand – hôtel qui deviendra au XIXe siècle le siège de la préfecture puis celui du lycée Montgrand.

Il introduit la mayonnaise en France

À partir de 1730, Georges Roux est l’un des premiers importateu­rs de café en France. Il irrigue tout le bassin méditerran­éen de cette denrée. Il introduit également en France un autre produit culinaire inattendu : la mayonnaise ! On prétend que cette sauce fut goûtée pour la première fois en France dans son hôtel particulie­r le 22 juillet 1756, ramenée de la ville de Mahon aux Baléares par le maréchal Richelieu – petitneveu du célèbre cardinal – qui faisait partie des invités ce soir-là, et qui venait de reprendre les Baléares aux Anglais. Georges Roux avait beau être riche, il lui manquait quelque chose : un titre de noblesse. Il décide alors, en 1746, d’acheter dans le Var, près de Brignoles, le fief de Brue, constitué de terres vacantes, inhabitées. Pendant quatre ans, il fait défricher bois et jachères et assécher les marais. En 1750, il pose la première pierre du nouveau village, béni par le curé de Brignoles. C’est alors qu’il obtient la consécrati­on tant attendue : la transforma­tion par le roi Louis XV de ses terres en marquisat. Georges Roux devient le marquis de Brue ! Au centre de son village, il construit son château. À côté de son château sa chapelle. Il installe une manufactur­e de soie comportant vingttrois moulins, une filature de coton, une faïencerie, une chapelleri­e, trois tanneries. Il fait planter les mûriers par milliers. Les ouvriers arrivent par centaines. On en compte six cents en 1 758. En 1765, vingt ans après sa création, le village compte plus de huit cents habitants. Rien de l’arrête. Il crée sa propre monnaie.

Le pigeonnier seul témoin de sa grandeur

Pendant ce temps, il continue à faire prospérer ses activités d’armateur à Marseille. Il se lance dans l’aventure militaire. Pendant la guerre de succession d’Autriche (1741-1748), il arme plusieurs de ses bateaux et continue à faire fortune. Lorsqu’arrive la guerre de Sept ans entre la France et l’Angleterre (1756-1763), il s’endette pour acheter de nouveaux bateaux. On prétend qu’il a déclaré personnell­ement la guerre au roi d’Angleterre. Le curé du village aurait surpris un document ainsi libellé : « Déclaratio­n de guerre de Georges Roux, marquis de Brue, à Georges, roi d’Angleterre ». C’est alors que tout s’écroule. Au cours de cette guerre, il perd, coup sur coup, trois de ses navires. C’est, soudain, la faillite. Lui, si riche jusqu’alors, ne peut rembourser ses dettes. Du jour au lendemain tout a basculé. Les courtiers se retournent contre lui, font saisir ses biens. Une si grande fortune, une chute aussi vertigineu­se ! Il se replie dans ce qui reste de son château de Brue. Il y meurt en mars 1792. Le village de Brue a survécu à sa déchéance. En 1840, Brue s’est uni au village voisin pour constituer la commune de Brue-Auriac. Le château a été rasé à la Révolution. Seul le pigeonnier qu’avait fait construire Georges Roux, le plus haut d’Europe ( 22 mètres), inscrit au Guiness book des records, continue à surveiller le village. Tel est, dressé dans le ciel varois, le dernier témoin d’une folle grandeur passée.

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(Photo DR) Il est allé jusqu’à déclarer personnell­ement la guerre au roi d’Angleterre !
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(Photo DR) 5 Depuis deux siècles et demi, le pigeonnier construit par Georges Roux domine le village et paysage environnan­t.
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(Photo DR) 4 On a peine à imaginer qu’un village qui a l’air si paisible soit né de la volonté d’un aussi extravagan­t personnage !

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