Anticipation et interrogations chez Montaner Pietrini
Leader sur la région Sud-Est avec plus de 7 000 références de vins, bières, spiritueux, et près de 8 000 clients, Montaner Pietrini est le premier groupe indépendant français de la distribution de boissons. Il emploie trois cent cinquante personnes, dont trente-six salariés en CDI et quatre en CDD sur le site de Toulon. Le prélèvement à la source a été largement anticipé, comme en témoigne Romuald Yung, directeur des ressources humaines du groupe.
Un coût pour l’entreprise
« Nous avons été proactifs, indiquet-il. Pour remplacer l’ancienne déclaration annuelle des données sociales (DADS), qui imposait de communiquer en janvier à l’ensemble des organes afférents (Carsat, Pôle emploi, Sécu, CAF…) le cumul des rémunérations perçues l’année précédente, on a mis en place la déclaration sociale nominative (DSN) en octobre 2016. Ainsi, ce travail qui était annuel est devenu mensuel. On sait aujourd’hui que ce système fonctionne bien ». Pour en arriver là, il a fallu adapter le progiciel utilisé, ce qui a généré une augmentation de son prix de 50 %, soit de 10000 à 15 000 euros, plus le coût du paramétrage «environ 15000 à 20000 euros sur un an» selon M. Yung : «Techniquement, c’est très complexe, cela a demandé une grosse montée en compétences de nos collaborateurs du service paye ». Il juge néanmoins l’opération positive : « La DSN est un vrai progrès. Dommage que certains organes censés recevoir les informations résistent. Il y a, par exemple, des fichiers qui disparaissent ». L’entreprise a fait le choix de la maîtrise en n’externalisant pas la paye. « On a systématiquement le nez dans la veille sociale, c’est très important pour nous. On a des contrôles Urssaf de très bonne qualité » précise avec un brin de fierté le DRH.
Désamorcer la déception des salariés
Ainsi préparé, le groupe va passer en septembre prochain à la phase de préfiguration du prélèvement à la source. « On va pouvoir tester le système avec un taux d’imposition fictif pour chacun de nos collaborateurs. » D’ici là, il est prévu de communiquer auprès d’eux. Les chefs d’équipe de chaque entrepôt seront invités en septembre aussi à des réunions pour relayer l’information auprès des salariés. L’objectif est de désamorcer leur déception. «Techniquement, cela ne semble pas complexe. Ce qui l’est, c’est l’éventuelle dégradation du climat social, anticipe Romuald Yung. Il est prévu de façon générale que tout problème rencontré devra être traité entre la direction générale des finances publiques et le cotisant. Mais comme notre entreprise privilégie le climat social, on sera à même d’aider nos salariés en cas de nécessité. » Ces derniers risquent en effet d’être surpris de voir leur salaire diminuer. «Les bulletins de paye sont très clairs à ce sujet, le net figurera tel qu’aujourd’hui et à côté, il y aura une partie spécifique pour le net après prélèvement fiscal, précise le DRH. Mais si on ne fait pas un effort de communication, on risque une perte de productivité et de voir les gens se retourner contre l’employeur pour demander des augmentations ».
Il pense également à un autre écueil, « la peur que certains employés pourraient avoir de l’immixtion de l’entreprise dans leurs revenus. Je sais que je vais devoir rassurer certains. L’entreprise a une obligation de confidentialité. Elle percevra l’impôt dû seulement sur la rémunération et ses périphériques, intéressement, participation, abondement». Au-delà de la situation dans son groupe, il redoute d’une manière générale « un impact négatif sur la consommation ».
Un salaire net d’impôt ? Pas tout à fait
D’accord avec le DRH sur cet impact macroéconomique, Patrick Mignano, directeur général de Montaner Pietrini, est en revanche sceptique sur
l’efficience de ce prélèvement : « J’ai de grosses interrogations sur la fiabilité du système, car il y a des gens qui ont plusieurs sources de revenus. Comment cela va-t-il se passer pour eux ? » interroge-t-il. Un avis partagé par quelques collaborateurs.
« En tant que comptable, je pense que c’est quelque chose de plutôt positif,
estime Francis Ramonet. Ma situation est simple, je n’ai que mon salaire. Mais ce sera peut-être différent
pour ceux qui ont d’autres revenus. » Et d’argumenter, le concernant:
« C’est un taux individualisé appliqué sur les fiches de paye. En tant que contribuable, je paye l’impôt trimestriellement, et si mon revenu augmente, l’impôt augmente, s’il baisse, l’impôt baisse. Je n’aurai pas à attendre la fin de l’année, voire le début de la suivante, pour être remboursé. On pourra aussi, dans le couple, individualiser l’impôt quand il y a une grosse disparité de salaires. En revanche, ce ne sera toujours pas du salaire net d’impôt, car il restera la taxe d’habitation à payer, la taxe foncière si on est propriétaire, et autres taxes… »
Encore plus dur pour les petits salaires
S’il est mensualisé pour le paiement de l’impôt sur le revenu, Pascal Mourat, responsable de la logistique, ne voit pas d’un bon oeil le prélèvement
à la source : « Je préfère toucher plus chaque mois. Pour ceux qui ont des fins de mois difficiles, ça va être encore plus dur. C’est compliqué pour les jeunes. Mais on n’a pas le choix, on nous l’impose. On ne se révolte
pas assez dans ce pays ». Maxime Thomas, cariste, est dans l’attente d’informations, mais le dispositif ne le dérange pas. « J’ai d’autres revenus que mon salaire, je vais avoir des ajustements en cours
d’année. Je m’interroge, j’attends de voir comment cela va être organisé. Étant mensualisé, je pense que je continuerai à être prélevé chaque mois pour les autres revenus. Pour moi, ça ne changera pas grand-chose ». Au service comptabilité clients, Morgane Long examine le pour et le contre : « C’est une bonne chose car n’étant pas mensualisée, je n’aurai pas une somme importante à sortir. Mais avec le salaire diminué, les fins de mois seront plus difficiles. C’est déjà compliqué pour les charges de tous les jours. Je pense que ça sera à l’avenir encore plus complexe pour obtenir un crédit ou accéder à une location avec des salaires plus bas. Énormément de gens seront impactés ». Et la jeune femme de conclure, fataliste : «Mais de toute façon, on n’a pas le choix, on ne nous a pas demandé notre avis ».