Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Teresa : « Avec les CRS, ça fracassait ! »

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Son activisme militant et son code couleur si caractéris­tique lui valurent d’être rebaptisée par Jacques Peyrat : «la punaise verte ». Pourtant, bien avant de se frotter à l’ancien maire de Nice, c’est à « Nanterre la Rouge » que Teresa Maffeis a forgé ses solides conviction­s, au coeur du printemps 68. Rouge, comme les cheveux de cette citoyenne inlassable­ment engagée. Elle fêtera ses 69 ans ce 10 mai. «Le jour anniversai­re de la nuit des barricades», sourit l’intéressée. Comme un clin d’oeil du destin à cette figure du militantis­me niçois, qui vécut les événements de 68 au coeur du réacteur contestata­ire. Quelques mois plus tôt, cette fille d’ouvriers italiens immigrés a quitté Orléans pour s’inscrire à Nanterre. En licence d’italien, justement. Elle a 18 ans quand la fièvre s’empare des amphis, « bondés ». De jeunes et brillants orateurs enflamment l’assistance : Daniel Cohn-Bendit, Alain Geismar, Jacques Sauvageot... « Il y avait plein de réunions sur divers sujets. L’idée générale, c’était de changer le monde. Bâtir une société plus égalitaire, plus juste, se souvient Teresa Maffeis. Pour moi, c’était fascinant. Jamais je n’aurais alors imaginé affirmer mes conviction­s et les défendre dans la rue ! »

« Quand Cohn-Bendit parlait, on ne comprenait pas tout ! »

Ces idées, difficile de les exprimer en amphi. «On avait plein de questions... mais on ne les posait jamais. On était timides, et les Cohn-Bendit et autres avaient une telle culture... Il faut bien admettre qu’on ne comprenait pas tout ce qu’ils disaient. En quittant l’amphi, on courait consulter des livres.» Mais en ce printemps-là, la maturation politique s’opère en accéléré. D’autant que, depuis sa chambre d’étudiante, Teresa Maffeis a la vue sur un campement d’ouvriers immigrés. « Ils vivaient dans des conditions déplorable­s. J’ai découvert qu’on n’était pas les seuls exclus de la société. » Les «germes» de son militantis­me vont s’épanouir, au nom de l’égalité hommes/femmes. Non sans désillusio­ns. « Les hommes n’avaient pas le droit d’entrer dans le dortoir des filles. On voulait casser cette barrière. Mais les hommes, au fond, restaient machos. Il fallait limite faire gaffe sexuelleme­nt. » Faire gaffe, tel est le lot des jeunes contestata­ires de l’époque, face à un pouvoir guère décidé à laisser proliférer la « chienlit ».

Teresa Maffeis se souvient de « ce matin, début mai, où on a vu surgir les CRS. Ils s’étaient planqués dans les sous-sols. Les gens couraient partout, les filles pleuraient... Et ça fracassait ! » Un jour, enfermée au resto U avec ses camarades, l’étudiante doit s’échapper via le vasistas : « Comme j’étais petite, j’étais ter rorisée ». Dans le fracas de ces folles semaines, un bruit l’a impression­née: «Les CRS qui frappaient avec leurs matraques sur les parois des fourgons, avant de surgir d’un coup. Ça faisait peur. Il y avait de la violence, des humiliatio­ns.» Son court séjour en fourgon l’a marquée. Le regard des gens, surtout. « Cette sensation d’être perçue comme un criminel, alors qu’on croyait faire le bien... »

Cinquante ans de combats

Pas question pour autant de rendre les armes. Après Nanterre, Teresa Maffeis s’en va occuper la Sorbonne. «Je dormais dans la bibliothèq­ue. Pour moi qui arrivais de province, occuper la Sorbonne, c’était le must ! » L’étudiante révoltée ira jusqu’à traverser l’Atlantique pour tâter le pouls de la colère à l’université de Columbia, puis à travers les États-Unis. Un demi-siècle plus tard, Teresa Maffeis n’a rien renié de ses combats. « Je ne suis pas devenue député, moi », souritelle. Cofondatri­ce de l’Associatio­n pour la démocratie à Nice, elle s’implique dans la défense des droits des femmes, des demandeurs d’asile, des écoliers sans-papiers, des Roms, de l’écologie... Et ne manque pas de mettre en oeuvre quelques leçons de Mai 68. En témoigne cette campagne d’affichage avec des... postérieur­s, façon Catherine Ségurane, pour accueillir naguère Jean-Marie Le Pen à Nice. «Un héritage » de cette époque où « la culture fut érigée en vecteur d’informatio­n». Teresa Maffeis a toujours préféré l’action aux réunions pour changer cette « société fragmentée », où elle rêve parfois de voir « l’imaginatio­n au pouvoir ». Pour la fille d’immigrés, « Mai 68 a été le déclic. Un vrai moment de vie. On réfléchiss­ait en même temps qu’on agissait. Désormais, on envoie des mails au lieu d’aller sur le terrain! »

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