Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Mireille : « On craignait les attaques de fachos »

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68 ans. Son âge actuel lui évoque bien des souvenirs. En 1968, Mireille Franzini est élève en première à Nice, au lycée Calmette. Un parfum de liberté inédit flotte alors sur cet établissem­ent. « Tout le monde s’est mis en grève. Nous avons fait de même. Mais à Calmette, il n’y a pas eu de grandes assemblées générales, nuance Mireille Franzini. Nous étions un petit groupe. Une douzaine de filles, qui se réunissaie­nt dans une salle. Nous avions peur d’être récupérées et manipulées par les étudiants. Nous n’avions aucune notion de politique... Nous voulions rester avec nos revendicat­ions de lycéens. » Leurs aspiration­s juvéniles ? « Plus de libertés, plus de suivi sur notre travail de l’année, un accès au lycée facilité - la majorité n’était alors qu’à 21 ans. On ne le réalise plus maintenant, mais tous les règlements intérieurs étaient tellement rigides! C’était la France gaullienne dans toute sa splendeur, avec “tata Yvonne” pour première dame. » Les femmes, justement, sont alors seules à arpenter les couloirs de Calmette. Tandis qu’à quelques jets de pavés de là, le lycée Masséna est exclusivem­ent masculin. « Cela paraît fou aujourd’hui! s’esclaffe Mireille Franzini. Pour ne pas être envahies par les garçons, on les faisait passer par l’entrée du concierge. Et on filtrait. On évitait ceux qui venaient uniquement draguer les filles... »

Éveil à la politique

De cette époque de libération des moeurs, Mireille Franzini se remémore surtout son éveil à la politique. Cette «grande manifestat­ion qui a réuni à Nice lycéens et étudiants. Pour nous, c’était extraordin­aire, inédit. » Et relativeme­nt pacifique à Nice : « Il n’y a jamais eu de violence dans les manifestat­ions. » Autre temps fort : l’occupation du lycée Masséna. Mireille Franzini, qui y a participé « une ou deux nuits », n’était pas rassurée. « Notre principale inquiétude, c’était les attaques de fachos. Il y avait eu des agressions à la fac de lettres... Alors, un copain faisait le guet la nuit. »

« Je serais peut-être devenue une vieille c... »

En ces temps-là, la contestati­on s’organise sans smartphone­s ni réseaux sociaux. « La plupart d’entre nous n’avions même pas de téléphone fixe, témoigne l’ancienne de Calmette. On marchait énormément - d’autant que l’essence manquait. On se déplaçait en stop. Les gens s’arrêtaient, on discutait sans se connaître.» Les parents ne partageaie­nt guère cette bienveilla­nce : « Ils paniquaien­t sur le thème : “Moi je m’en fous, je veux que les élèves passent le bac !” » Un jour, en pleine occupation de Masséna, la mère de Mireille s’y est présentée pour récupérer sa fille. « C’était la honte... Mais elle est restée au portail. » La fronde ne passera pas l’été. Dès la rentrée, « le train-train » reprend le dessus. Pas pour Mireille Franzini. Fidèle à ses idées, elle quittera la fac pour aller travailler en usine comme « établie ». « Ils ne m’ont pas acceptée parce que j’étais déjà fichée. Mais je ne le regrette pas. » Pour cette jeune femme jusqu’alors dénuée de conscience politique, « Mai 68 a été un détonateur. Le début d’un militantis­me qui ne m’a jamais quitté pendant cinquante ans», affirme la vice-présidente de l’associatio­n AC Sida. Ses combats depuis : les droits des femmes, des LGBT, des migrants... «Le fait de militer, ça empêche de vieillir. Je me dis que sans cela, je serais peut-être devenue une vieille conne ! »

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(Ph. doc J.-F. O.) Mireille Franzini, alors lycéenne,  ans aujourd’hui.

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