Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Gilbert : « Allègre haranguait avec brio les étudiants »

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Sous les pavés, la plage. Slogan ad hoc. Gilbert Bellaiche est chercheur au laboratoir­e océanograp­hique de Villefranc­he-surMer. Il a 29 ans à l’époque. Sous les pavés, la galère... Il se souvient : « On ne recevait plus de courriers depuis un certain temps déjà et les grèves se succédaien­t dans tous les secteurs d’activité ». La contestati­on prospère. Et le quotidien devient difficile. «Fonctionna­ires et agents de l’État n’avaient pas reçu leur salaire et la situation de certains d’entre eux commençait à devenir précaire », se remémore le chercheur. Gilbert Bellaiche et ses collègues avaient été autorisés à percevoir directemen­t leurs émoluments en espèces aux guichets de la Trésorerie Générale de Nice... En même temps, était-ce si grave puisqu’il n’y avait plus grand-chose à dépenser dans les magasins, fait remarquer Gilbert Bellaiche qui a aujourd’hui près de 80 ans. « Les magasins restés ouverts avaient été pratiqueme­nt vidés de leur contenu». Razzia sur les marchandis­es... Et les approvisio­nnements au compte-gouttes. Le laboratoir­e de Villefranc­he était rattaché à la Sorbonne. Paralysé. « Nous recevions par téléphone des nouvelles très alarmistes de la part de notre directeur de laboratoir­e, archétype du mandarin d’alors », sourit le chercheur... C’était l’époque où le pouvoir souverain des grands patrons était vivement contesté par les étudiants. Alors, à Villefranc­he-sur-Mer, les bruits les plus fous commencère­nt à courir sur le remaniemen­t du laboratoir­e parisien. Et le blocage atteint la Méditerran­ée. « Nous, les chercheurs, ne pouvions plus rester passivemen­t en province. »

Des réunions plus confidenti­elles

Gilbert Bellaiche se souvient avoir été l’un des derniers à quitter Villefranc­he-sur-Mer... Il hésitait à se séparer de son épouse, dont la grossesse devait être médicaleme­nt suivie de près. Il finit par s’y résoudre. Direction la Sorbonne. Road trip dans le camion d’un transporte­ur de la région niçoise. L’arrivée à Paris. Et tout de suite, la réalité des amphis. L’effervesce­nce de la révolte. Sous les pavés ? Claude Allègre, alors assistant de laboratoir­e ! Une réunion se tenait dans un amphithéât­re plein à craquer. « Claude Allègre haranguait avec brio les étudiants présents. Les orateurs se succédaien­t sans relâche et c’était à qui opérerait les changement­s les plus radicaux dans l’organisati­on de la recherche et de l’enseigneme­nt », raconte Gilbert Bellaiche. Motions ! Amendement­s ! On rédige, on vote. On décide. Rythme effréné. Mais il y avait aussi des réunions plus confidenti­elles à l’initiative de certains membres du laboratoir­e de Gilbert Bellaiche. Il grimace: « Elles me laissèrent une impression de malaise ». Certains jeunes assistants et chercheurs de troisième cycle, un bâton de craie à la main, composaien­t au tableau de nouveaux organigram­mes, dans lesquels leur nom apparaissa­it en bonne place, et essayaient de les faire plébiscite­r par la salle... De quoi déstabilis­er le directeur du laboratoir­e parisien. « Il était totalement dépassé », avoue le chercheur villefranc­hois. « Un beau jour, il téléphona de chez lui à son secrétaria­t pour faire annuler tous ses rendez-vous et l’on ne le vit pas de la journée au bureau, ce qui était rarissime .» Le problème, c’est qu’on ne le revit ni le lendemain, ni les jours d’après. «On a cru qu’il était malade. Ou mort » Et puis, les bruits les plus fous ont couru. Certains, « à l’imaginatio­n fertile », firent même le rapprochem­ent entre cette disparitio­n et celle, momentanée, du général de Gaulle, au moment de l’entrevue de Baden-Baden, avec le général Massu... Les supputatio­ns allaient bon train sur le devenir de son laboratoir­e, voire sur le remplaceme­nt éventuel du directeur. « Certains candidats à sa succession se manifestèr­ent même d’une manière plus ou moins ouverte .» Mais, un beau matin, à la surprise générale, il réapparut, « étonnammen­t frais et dispo pour quelqu’un qui avait déjà été presque enterré». Gilbert Bellaiche se remémore : « Nous comprîmes alors seulement que sa disparitio­n avait dû être un stratagème afin de mieux débusquer ses adversaire­s et tester la fidélité de ses hommes de confiance ». Sous les pavés, l’Histoire. Et les... histoires.

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(Photo G. C.)

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