Atelier DJ au centre pénitentiaire
Pour son dixième anniversaire, l’association toulonnaise Fu-Jo organise un grand concert “Hip-Hop Convict”, prochainement à Six-Fours. Au terme de dix jours d’atelier DJ au centre pénitentiaire de La Farlède, un détenu sera sélectionné pour monter sur scène et assurer la première partie du show... Reportage derrière les barreaux
T’es sûr? Tu veux pas qu’on révise avant?» À peine le professeur a-til déballé le matos que les élèves se ruent dessus, impatients de manier les platines et la table de mixage. «Non, c’est bon là, j’ai le tempo», balaie un grand gaillard d’1,90 m, en battant la mesure d’un mouvement de tête vertical. Casque sur la tête et maillot d’Hatem Ben Arfa (version OGC Nice) sur le dos, le jeune détenu vient
(1) de trouver son nom de scène, «sur un délire». Ce sera «DJ La K-Wet» en référence à cette couette impeccable qui lui décore l’arrière du crâne. À ses côtés, Mouloud Mansouri, président de l’association Fu-Jo, et DJ Thaï Thaï, tendent l’oreille, comme si le sort du hiphop en dépendait. Les enceintes crachent un vieux tube de La Fouine, intitulé Du ferme .La chanson évoque l’histoire d’un mec qui «a pris 20 piges » pour «de la cocaïne dans le jean ». «Vérifie bien tes BPM (N.D.L.R. : les battements par minute, qui fixent le tempo), sinon tu fais baisser toute l’énergie», conseille le DJ toulonnais. La K-Wet a un doute. «Vous êtes sûrs qu’on avait bien appris le calage du disque ? », demande-t-il, l’air grave et inquiet. «Arrête de réfléchir. On s’en fout, on est là pour apprendre ! »
La crème du hip-hop
On ne dirait pas comme ça, mais l’on est bel et bien au centre pénitentiaire de Toulon-La Farlède. De l’autre côté de la porte, s’étend un long couloir ultra-sécurisé qui dessert une bonne quarantaine de cellules. La petite pièce, qui a été réaménagée en studio de fortune, se trouve en plein coeur de la MAD (Maison d’arrêt de droite). Dans ce bâtiment, sont logées exclusivement des personnes condamnées à des peines plus ou moins longues. Et c’est précisément pour eux qu’ont été ouverts il y a deux semaines des ateliers DJ. Le principe est simple : faire venir des pointures du mix pour former les locataires de la prison au «DJing», en vue de leur réinsertion future. Une quinzaine de détenus se sont portés candidats pour côtoyer la crème de la crème du hip-hop français.
Moments d’évasion
Cela fait donc plus de dix ans que le centre pénitentiaire de La Farlède offre quelques précieux moments d’évasion à ses détenus. Après dix années passées «au ballon» pour trafic de stup’, Mouloud Mansouri a réussi sa reconversion de producteur. Il a créé l’association Fu-Jo en 2008 pour, justement, « apporter un peu de culture à ceux qui y ont difficilement accès» . Depuis, près de 400 concerts ont été organisés en prison, principalement en région Paca (à La Farlède, Nice et Grasse) mais aussi dans le reste de la France. Avec, à l’affiche, les stars de la «chanson française », au sens très, très large du terme : Cali, M, Kery James, Olivia Ruiz, Grands Corps Malade, IAM, Zaz, Disiz, Youssoupha ou encore Oxmo Puccino et bien d’autres ont défilé derrière les barreaux. Steve McQueen (alias le capitaine Virgil Hits dans La
grande évasion) peut aller se rhabiller avec ses plans de tunnels conçus pour jouer la fille de l’air. Dans la prison farlédoise, les détenus prennent la poudre d’escampette par le biais de la culture. Que ce soit grâce aux concerts et autres one-man-show organisés toute l’année ou à travers ces ateliers hip-hop taillés sur-mesure. De l’art d’offrir un peu de chaleur et d’émotion au beau milieu de cet univers carcéral froid et gris...
Vrai projet culturel
Pour Céline Collonge-Fernandez, directrice pénitentiaire d’insertion et de probation du Spip(2) de la Farlède, «c’est un vrai projet culturel », dans la mesure, explique-t-elle, où ila «du sens à plusieurs niveaux ». D’abord, « parce que l’on travaille avec des artistes de renommée nationale, voire internationale». Ensuite, «parce qu’il valorise des personnes incarcérées qui ont toutes un parcours, une identité… » Au terme de ces ateliers, le Juge d’application des peines (JAP) validera un bon de sortie exceptionnel à l’heureux élu qui sera sélectionné pour monter sur la scène de l’espace André-Malraux de Six-Fours (lire ci-contre). Après plus d’une heure de cours, le tube culte de Cut Killer, Assassin de la police , se met à résonner dans tout le bâtiment. On ne lésine pas sur les décibels. Un surveillant débarque pour demander de « baisser un peu le son». C’est dit avec fermeté et ça ne donne pas envie de se marrer... Puis c’est au tour de «Mama» de passer aux platines. Grand, sec, bouc bien rasé, lui n’y connaît pas grandchose au rap. Son truc, «c’est plus le ska, le reggae ou le classique ». «Mais c’est toujours l’occasion d’apprendre quelque chose», dit-il avec entrain. Certes, «ilyalesportet l’école, le yoga et les échecs, ou les ateliers d’écriture et de théâtre», mais la prison reste la prison. «Alors autant en profiter dès qu’il se passe quelque chose de bien ». Le style est encore un peu hésitant, « mais ça progresse bien», apprécie DJ Thaï Thaï, en scrutant les faits et gestes de Mama. «Lui, je le verrais bien travailler en régie. Il ferait un bon ingé-son ». L’intéressé tente de tenir le tempo. «C’est vraiment le plus dur», soupire-t-il en lâchant la platine. Il faut bien compter les temps pour bien poser les musiques». Mais encore faut-il savoir «faire travailler ses oreilles», comme le répète DJ Thaï Thaï. « Une fois qu’ils arrivent à caler deux sons sur le même beat, ils pourront envoyer du sample et des effets, puis enchaîner les morceaux». La culture et le hip-hop peuvent-ils être des moteurs pour aider les détenus à se réinsérer à leur sortie de prison? Martin Parkouda, le chef de l’établissement farlédois, en est persuadé. C’est même «indéniable» selon lui.
Combler les lacunes
«Notre travail, rappelle-t-il, c’est de s’occuper des gens que la justice nous confie. Avec un objectif essentiel: les rendre à la société meilleurs qu’ils ne l’étaient
avant». Et le directeur du centre pénitentiaire de paraphraser Robert Badinter : «La prison, assure-t-il, doit aussi permettre de combler les lacunes de certains en les mettant au contact de la culture à laquelle ils n’avaient peut-être pas accès dehors. C’est pour cela qu’on a besoin de ces personnes extérieures qui fédèrent ces énergies et nous apportent des choses que l’on ne sait pas faire». Une chose est sûre, c’est que DJ La K-Wet et ses acolytes n’auraient sans doute jamais eu l’occasion de rencontrer un jour le grand Cut Killer sans le travail de l’association Fu-Jo. « C’est juste un truc de fou », admet le détenu qui a été «bercé toute (sa) jeunesse par ses tubes ». Avant le grand concert, les trois candidats toujours en lice sont conscients qu’il ne peut en rester qu’un. Or n’est pas Highlander qui veut. DJ La K-Wet l’a bien compris. «Ça serait juste un honneur, un immense plaisir de me retrouver sur cette scène. Et pourquoi pas me reconvertir là-dedans, se met-il à rêver à haute voix. Faut encore que je travaille ma technique… Mais une fois à l’extérieur, je me verrais bien faire de la musique. » 1. En accord avec l’administration pénitentiaire, nous avons dû respecter l’anonymat des détenus en ne dévoilant que leur « nom de scène » et sans évoquer non plus leur motif d’incarcération. 2. Service pénitentiaire d’insertion et de probation (Spip). Voir notre vidéo sur varmatin.com #SOLUTIONS
On s’en fout, on est là pour apprendre ! ”
Lui, je le verrais bien travailler en régie ”
Pourquoi pas me reconvertir là-dedans ?”