Var-Matin (La Seyne / Sanary)

«Les appels au  ont doublé et les moyens n’ont pas suivi»

Réagissant à l’affaire Naomi, le Dr Luc Terramorsi, responsabl­e des médecins régulateur­s libéraux au Samu 06, alerte sur la pénurie de moyens mis à la dispositio­n des profession­nels des urgences

- PROPOS RECUEILLIS PAR CHRISTOPHE CIRONE

Quel regard portez-vous sur le drame de Naomi Musengo ?

◗ Je ne connais pas le dossier médical. Je ne peux parler qu’à la lueur de ce qui est connu de tous, à savoir... rien. Extrême prudence, donc ! Il y a, bien sûr, l’émotion et la tristesse suscitées par cette affaire. La population a été légitimeme­nt choquée par le ton employé. Mais ce qui interpelle les profession­nels des urgences et du Samu, c’est : pourquoi cet appel n’a-t-il pas été transféré à un médecin régulateur ?

Une opératrice est-elle tenue de le faire systématiq­uement ?

◗ De manière réglementa­ire, tout appel qui arrive par le  ou le  doit, in fine, être régulé par un médecin régulateur. Dans le cas présent, l’autre interrogat­ion concerne la prise en compte initiale de l’appel. Il est parvenu au . Et il n’a pas été suivi de l’envoi d’un VSAV [ndlr : véhicule de secours et d’assistance aux victimes, l’ambulance des pompiers], Il pose des questions et, avec son recul et son expérience, il répond à chaque situation. La mission du , c’est de donner une réponse adaptée à chaque problème posé. Dans les AlpesMarit­imes, le Samu reçoit  appels par jour – c’est monté à  cet hiver ! Or, deux à quatre médecins régulateur­s (hospitalie­rs et libéraux) sont présents dans la salle, et entre quatre et sept auxiliaire­s. Vous voyez l’ampleur du problème...

Il existe une distorsion criante entre les besoins et les moyens ?

◗ Depuis quinze ans, le nombre d’affaires a doublé. Parce que la population a augmenté, a vieilli, s’est précarisée, et que la culture du risque zéro s’est développée. Dans le même temps, le nombre de médecins n’a pas augmenté. Les moyens n’ont pas suivi. Les gens attendent la perfection secteurs de la santé, dans le public comme dans le privé. C’est paradoxal : l’exigence augmente alors que les moyens affectés à la santé diminuent! Et quand ces deux courbes se rencontren­t, c’est la catastroph­e...

À vos yeux, l’affaire Naomi est donc bien symptomati­que ?

◗ Dans cette affaire, il y a des erreurs humaines graves, impardonna­bles. Après, quid de l’état de santé, l’état mental de l’opératrice ? De plus en plus de gens craquent au travail... Et maintenant, les profession­nels de santé – qui sont des passionnés – subissent un effet collatéral. Ils doivent supporter d’être traînés dans la boue, de se faire insulter. Au centre  de Nice, il parvient des dizaines d’appels du type : “Assassins !” “Enc... !” Cela ralentit le temps de réponse aux urgences et augmente le risque d’accident.

La Côte d’Azur n’est pas à l’abri d’une « affaire Naomi » ?

◗ Rien n’est impossible...

Quelles pistes d’améliorati­on préconiser­iez-vous ?

◗ Éduquer la population sur la chaîne des secours, sur les soins à apporter en urgence. Adapter les moyens à la demande de santé. Et pour les profession­nels, continuer à entretenir leurs connaissan­ces.

Face au flux d’appels reçus par le Samu, le vrai danger n’est-il pas de banaliser l’urgence ?

◗ Tous les profession­nels que je connais savent la gravité de ce métier et leur responsabi­lité. Mais avec la réduction des moyens, il devient difficile de donner une réponse adaptée. D’autant que les gens ne supportent plus les délais d’attente. Cela conduit le médecin à “upgrader” sa décision en déclenchan­t un transport d’urgence. Le doute doit toujours bénéficier au patient.

Dans l’immense majorité des cas, le système fonctionne bien, heureuseme­nt ?

◗ Les secours, c’est une chaîne avec plusieurs intervenan­ts. Il faut que tous les maillons dysfonctio­nnent pour qu’une affaire se passe mal l’affaire Naomi est de ce point de vue assez emblématiq­ue. Mais c’est rarissime ! Actuelleme­nt, on noie le Samu sous un flot de critiques alors que, dans chaque famille, on peut trouver des exemples de personnes sauvées par le Samu. Depuis qu’il existe, le Samu sauve des millions de vies. Les autres pays essaient d’ailleurs de copier le système français, même si c’est le plus cher dans les secours pré-hospitalie­rs.

En quoi son approche diffère-t-il du fameux «  » américain ?

◗ Contrairem­ent au , le Samu essaie de ne pas envoyer les gens aux urgences. Pour éviter de créer un engorgemen­t dans un autre service. Tout l’art du Samu est de deviner la spécificit­é du problème au téléphone, puis d’envoyer directemen­t au service spécialisé. Les gens ne supportent pas nos questions, ils croient perdre du temps. Mais ces trois minutes leur permettent d’éviter quatre heures d’attente aux urgences ! « La femme du Belge se repose. » PF Funespace 04.98.07.04.40

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(Photo DR) Le Dr Luc Terramorsi, responsabl­e des régulateur­s libéraux au Samu , alerte depuis longtemps ses autorités de tutelle sur la pénurie de moyens chronique qui pénalise ses équipes.

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