«Les appels au ont doublé et les moyens n’ont pas suivi»
Réagissant à l’affaire Naomi, le Dr Luc Terramorsi, responsable des médecins régulateurs libéraux au Samu 06, alerte sur la pénurie de moyens mis à la disposition des professionnels des urgences
Quel regard portez-vous sur le drame de Naomi Musengo ?
◗ Je ne connais pas le dossier médical. Je ne peux parler qu’à la lueur de ce qui est connu de tous, à savoir... rien. Extrême prudence, donc ! Il y a, bien sûr, l’émotion et la tristesse suscitées par cette affaire. La population a été légitimement choquée par le ton employé. Mais ce qui interpelle les professionnels des urgences et du Samu, c’est : pourquoi cet appel n’a-t-il pas été transféré à un médecin régulateur ?
Une opératrice est-elle tenue de le faire systématiquement ?
◗ De manière réglementaire, tout appel qui arrive par le ou le doit, in fine, être régulé par un médecin régulateur. Dans le cas présent, l’autre interrogation concerne la prise en compte initiale de l’appel. Il est parvenu au . Et il n’a pas été suivi de l’envoi d’un VSAV [ndlr : véhicule de secours et d’assistance aux victimes, l’ambulance des pompiers], Il pose des questions et, avec son recul et son expérience, il répond à chaque situation. La mission du , c’est de donner une réponse adaptée à chaque problème posé. Dans les AlpesMaritimes, le Samu reçoit appels par jour – c’est monté à cet hiver ! Or, deux à quatre médecins régulateurs (hospitaliers et libéraux) sont présents dans la salle, et entre quatre et sept auxiliaires. Vous voyez l’ampleur du problème...
Il existe une distorsion criante entre les besoins et les moyens ?
◗ Depuis quinze ans, le nombre d’affaires a doublé. Parce que la population a augmenté, a vieilli, s’est précarisée, et que la culture du risque zéro s’est développée. Dans le même temps, le nombre de médecins n’a pas augmenté. Les moyens n’ont pas suivi. Les gens attendent la perfection secteurs de la santé, dans le public comme dans le privé. C’est paradoxal : l’exigence augmente alors que les moyens affectés à la santé diminuent! Et quand ces deux courbes se rencontrent, c’est la catastrophe...
À vos yeux, l’affaire Naomi est donc bien symptomatique ?
◗ Dans cette affaire, il y a des erreurs humaines graves, impardonnables. Après, quid de l’état de santé, l’état mental de l’opératrice ? De plus en plus de gens craquent au travail... Et maintenant, les professionnels de santé – qui sont des passionnés – subissent un effet collatéral. Ils doivent supporter d’être traînés dans la boue, de se faire insulter. Au centre de Nice, il parvient des dizaines d’appels du type : “Assassins !” “Enc... !” Cela ralentit le temps de réponse aux urgences et augmente le risque d’accident.
La Côte d’Azur n’est pas à l’abri d’une « affaire Naomi » ?
◗ Rien n’est impossible...
Quelles pistes d’amélioration préconiseriez-vous ?
◗ Éduquer la population sur la chaîne des secours, sur les soins à apporter en urgence. Adapter les moyens à la demande de santé. Et pour les professionnels, continuer à entretenir leurs connaissances.
Face au flux d’appels reçus par le Samu, le vrai danger n’est-il pas de banaliser l’urgence ?
◗ Tous les professionnels que je connais savent la gravité de ce métier et leur responsabilité. Mais avec la réduction des moyens, il devient difficile de donner une réponse adaptée. D’autant que les gens ne supportent plus les délais d’attente. Cela conduit le médecin à “upgrader” sa décision en déclenchant un transport d’urgence. Le doute doit toujours bénéficier au patient.
Dans l’immense majorité des cas, le système fonctionne bien, heureusement ?
◗ Les secours, c’est une chaîne avec plusieurs intervenants. Il faut que tous les maillons dysfonctionnent pour qu’une affaire se passe mal l’affaire Naomi est de ce point de vue assez emblématique. Mais c’est rarissime ! Actuellement, on noie le Samu sous un flot de critiques alors que, dans chaque famille, on peut trouver des exemples de personnes sauvées par le Samu. Depuis qu’il existe, le Samu sauve des millions de vies. Les autres pays essaient d’ailleurs de copier le système français, même si c’est le plus cher dans les secours pré-hospitaliers.
En quoi son approche diffère-t-il du fameux « » américain ?
◗ Contrairement au , le Samu essaie de ne pas envoyer les gens aux urgences. Pour éviter de créer un engorgement dans un autre service. Tout l’art du Samu est de deviner la spécificité du problème au téléphone, puis d’envoyer directement au service spécialisé. Les gens ne supportent pas nos questions, ils croient perdre du temps. Mais ces trois minutes leur permettent d’éviter quatre heures d’attente aux urgences ! « La femme du Belge se repose. » PF Funespace 04.98.07.04.40