Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Oran: rires et larmes pour

Ils sont 49 à avoir fait le chemin, depuis Draguignan, Menton, Nice... pour rejoindre l’autre rive, quittée il y a 56 ans. Un voyage vers leurs racines avec, pour fil rouge, Santa-Cruz restaurée

-

Ils ont quitté l’Algérie en . Arrachés à leur terre rouge d’Oran par le vent de l’histoire. Un aller sans retour possible, croyaient-ils. Depuis les années , les voyages « là-bas » se sont intensifié­s. Dont ce voyage du Collectif de sauvegarde des cimetières de l’Oranie auquel ont participé  pieds-noirs de Menton à Vitrolles, en passant par Nice, Monaco, Draguignan…  ans après, beaucoup ont, pour la première fois, foulé leur terre natale à la recherche de leurs racines. À la place de l’Oran d’avant et ses   habitants, ils ont découvert l’Oran d’aujourd’hui –  millions de personnes – qui s’est agrandi par l’ouest, sur les anciens vignobles. Car ici, on construit. Vite. Immeubles, hôtels, stades pour les Jeux méditerran­éens en . Accueillis à bras ouverts par les Oranais, chouchouté­s par les autorités, avec tour de la cité sous escorte pour tracer au milieu d’embouteill­ages permanents, ces pieds-noirs ont remis leurs pas dans le passé. Fait l’ascension (en bus) du sanctuaire de Notre-Dame de SantaCruz restauré. Ont prié, chanté, pleuré, ri, partagé la «mouna». Comme avant. Un retour aux sources que nous avons suivi. Bouleversa­nt.

Reportage : Marseille - Oran: 1h10 de vol audessus de la Méditerran­ée. Deux rives à un jet de pierre l’une de l’autre, pour un séjour en forme de tsunami d’émotions quand on est né « là-bas ». Quand on est pied-noir. Il a beau avoir fait ce voyage une trentaine de fois, soit à titre personnel, soit au sein de son associatio­n, le Collectif pour la sauvegarde des cimetières de l’Oranie (CSCO) pour emmener ses « compatriot­es » vers un retour aux sources, JeanJacque­s Lion, cardiologu­e à la retraite, a le coeur qui s’emballe chaque fois qu’il pose le pied sur le tarmac de La Senia, à Oran.

« Ne vous inquiétez pas, vous allez pleurer ! »

Pour ce pèlerinage, ce médecin de Draguignan a embarqué avec lui quarante-neuf pieds-noirs de 58 à 88 ans. Certains en sont à leur second voire quatrième retour. Pour d’autres, c’est le premier depuis l’exode, il y a 56 ans. À eux, JeanJacque­s Lion lance son couplet prévenant : « Ne vous inquiétez pas, vous allez faire comme tout le monde la première fois. Vous allez pleurer… »

Le retour du père et du fils

À 88 ans, Émile Serna, ancien inspecteur général de l’Éducation nationale, installé à Nice, n’aurait jamais imaginé, un jour, revenir à Oran. Il avait 32 ans quand, avec son épouse, Rirette, aujourd’hui décédée, il a dû tout quitter : l’école où ils étaient instituteu­rs, leur maison, leur ville, leurs repères. Pour embarquer par bateau pour un aller sans retour. Jusqu’à ce voyage entrepris 56 ans après. Pour accompagne­r et raconter « l’Oran d’avant dont chaque pierre me parle» à son fils, Henri-Jean. Lui, avait 3 ans quand il est parti. « Pourtant, je connais tout : la Marine, quartier espagnol de mes parents, la place d’Armes et ses rues élégantes, puis, perché sur la montagne, le sanctuaire de NotreDame de Santa-Cruz. J’ai grandi au milieu de ces souvenirs, avec, dans la tête, le plan détaillé d’Oran que je m’étais juré, un jour, d’arpenter. Pour combler ce manque. » Hélène, Michel, Florence, Cathy, Geneviève et les autres, tous racontent la même chose. Ce « besoin vital » d’aller là-bas. De retrouver des odeurs, des couleurs, d’être en lien avec leurs parents disparus en foulant cette terre avec laquelle ils sont « liés viscéralem­ent ».

«Vous êtes ici chez vous ! »

Alors des larmes, oui, il y en a eu. Des rires aussi. Et même des fous rires lorsque dans le bus qui les emmène vers Notre-Dame de SantaCruz, ils ont chanté l’hymne des Africains. Il y a eu cet accueil «si chaleureux » des Oranais auquel ils ne s’attendaien­t pas. Des « bienvenue chez vous » répétés à l’envi, des poignées de mains fraternell­es lorsqu’ils expliquaie­nt qu’ils n’étaient pas des touristes : « Nous sommes nés ici, à Oran, comme vous ! » Et puis, il y a eu des scènes incroyable­s, quasi surréalist­es. Comme celle vécue par Henri-Jean quand, arrivant devant sa maison natale, 43, rue des Jardins (2e étage), la porte s’est ouverte. Sur le seuil, Abdernacer, l’actuel propriétai­re, tout sourire : « Vous êtes ici chez vous. » Visite des lieux. Dans la tête d’HenriJean, les souvenirs affluent. Les images se font nettes, précises. « Comme si, devant mes yeux, un voile noir était brutalemen­t tombé », confie-t-il. Instant de sérénité, de plénitude. « Le sentiment d’avoir bouclé la boucle. » Antoine, 82 ans, de Sète, a retrouvé la maison de son père, l’a visitée aussi. Comme Michel et sa mère Régine…

Histoires d’amitié

« C’est un grand classique, rigole Jean-Jacques Lion. À chaque voyage, ce sont les mêmes scènes. Des pieds-noirs accueillis dans leur ancienne demeure comme s’ils venaient de s’absenter une semaine alors que ça fait 56 ans ! » Membre de Bel Horizon, associatio­n de guides oranais, Abdeslem ne compte plus ces histoires d’amitiés, entre pieds-noirs et Oranais, « improbable­s avant ». Guy Quessada et Cathy, sa conjointe, en font partie. Eux ont profité de leur 4e pèlerinage sur leur sol natal pour aller saluer leurs nouveaux amis oranais.

 ?? (Photos V. M.) ?? Sanctuaire cher au coeur des pieds-noirs, emblème d’Oran, e ville d’Algérie, Notre-Dame de Santa-Cruz a retrouvé sa beauté.
(Photos V. M.) Sanctuaire cher au coeur des pieds-noirs, emblème d’Oran, e ville d’Algérie, Notre-Dame de Santa-Cruz a retrouvé sa beauté.

Newspapers in French

Newspapers from France