Var-Matin (La Seyne / Sanary)

IL RACONTE LA DISPARITIO­N DE TABARLY

La nuit du 12 au 13 juin 1998, Éric Tabarly disparaiss­ait en mer d’Irlande. Vingt ans après le drame, le Toulonnais Jacques Rebec, l’une des quatre dernières personnes à l’avoir vu vivant, témoigne

- PIERRE-LOUIS PAGÈS plpages@varmatin.com

Il y a  ans jour pour jour, Eric Tabarly perdait la vie en mer d’Irlande. Jacques Rebec, un marin toulonnais, était avec lui à bord de son bateau, le Pen Duick. Il revient sur cette nuit tragique.

Mon Dieu, Éric est tombé à la mer ! » Ce cri d’effroi, lancé dans la nuit du 12 au 13 juin 1998 par Candida Costa, équipière d’Éric Tabarly à bord de Pen Duick, Jacques Rebec l’a consigné dans son journal de bord personnel. Mais il n’a pas besoin de se replonger dans son petit bloc-notes orangé pour se souvenir du drame. « La mauvaise fortune de mer », comme il l’appelle. « C’est comme si c’était hier », lâche ce septuagéna­ire toulonnais, ancien officier spécialisé de la Marine. Vingt ans après cette nuit tragique, alors que les médias français n’en ont que pour un autre anniversai­re, plus heureux certes – la victoire des Bleus à la Coupe du monde de football 1998 –, Jacques Rebec n’a pas oublié le plus populaire des navigateur­s tricolores. Celui qui, les yeux dans le bleu des océans, démocratis­a la voile en France. « C’est une chance et un privilège d’avoir été admis comme équipier à bord de Pen Duick», confie-t-il, la gorge serrée par l’émotion. Pour évoquer les jours de mer passés aux côtés de l’icône Tabarly, sans occulter sa chute à la mer, Jacques Rebec a accepté de nous recevoir dans sa maison des quartiers ouest de Toulon. En ce début de mois de juin, le ciel gris rappelle celui de la mer d’Irlande, théâtre du drame… La salle à manger regorge de souvenirs ramenés des escales aux quatre coins du monde lorsqu’il était encore dans la Royale. Les coupures de presse, les articles concernant Éric Tabarly sont, eux, précieusem­ent conservés dans un épais classeur vert. Témoigner vingt ans après, l’exercice n’est pas facile. «C’est encore dur d’en parler», reconnaît l’intéressé. Ce qu’il a pu lire ou entendre, les tout premiers jours qui suivirent la disparitio­n d’Éric Tabarly, n’y est sans doute pas étranger. « On a tout entendu sur l’accident. Certains ont même affirmé qu’Éric était seul sur le pont lorsqu’il est passé par-dessus bord. C’est mal connaître le bonhomme. Éric n’aurait certaineme­nt pas toléré qu’on reste au chaud pendant que lui effectuait les manoeuvres ! » Dans la nuit du 12 au 13 juin, alors que Pen Duick fait route vers Fairlie, en Écosse, où il doit fêter son centenaire, le vent fraîchit. Éric Tabarly décide de réduire la toile. « On était cinq à bord, on était cinq sur le pont ! », réaffirme Jacques Rebec. Il précise même la place de chacun : « Erwan était à la barre, Candida dans le cockpit, Antoine et moi au pied du mât pour affaler la grand-voile et Éric sur le capot de descente pour la récupérer. » Comme à son habitude Éric Tabarly ne porte pas de harnais de sécurité. « On le lui a reproché, mais c’était sa façon de naviguer », commente sobrement Jacques Rebec. Sur une mer formée, Pen Duick roule bord sur bord. Il est 00 h 15 quand l’impensable se produit: le pic, élément du gréement aurique de Pen Duick, vient violemment frapper Éric Tabarly, et le propulse par-dessus bord. Jacques Rebec est persuadé qu’Éric était conscient quand il est tombé à l’eau. «Avec Antoine, on pense même l’avoir entendu jurer. » Dans un réflexe, Erwan balance une bouée à l’eau. En vain. Les recherches sur

On a tout entendu sur l’accident” La nuit était sombre, la mer formée” C’était important pour moi de reposer mon sac à bord”

zone ne donneront rien. « La nuit était sombre, la mer formée. C’était la pire situation pour tenter de retrouver notre

skipper. » Au petit matin, une vedette de la Royal National Lifeboat Institutio­n, l’équivalent de nos sauveteurs en mer, arrive sur zone. Épuisé, l’équipage du Pen Duick se laisse ramener à Milford Haven. Il est 17 h 20 quand Jacques Rebec et ses trois compagnons d’infortune débarquent enfin dans ce petit port du Pays de Galles, où les attendent déjà les médias. Comme l’aurait sans doute souhaité Éric Tabarly, Pen Duick ,le voilier familial, reprend la mer dès le 14 juin, avec à son bord un nouvel équipage. Même si Jacqueline, la veuve d’Éric, lui assure qu’il a sa place à bord, Jacques Rebec avoue qu’il n’a pas pu rembarquer. « Je ne me suis pas senti capable de partir avec de nouveaux équipiers et d’affronter leurs questions, de devoir raconter l’accident d’Éric». Trop tôt sans doute. Un mois plus tard, Jacques Rebec est en revanche à Glasgow pour assurer le convoyage retour de Pen Duick en Bretagne. « C’était important pour moi de reposer mon sac à bord, de retrouver la mémoire d’Éric », confie-t-il, le regard un bref instant embué derrière ses lunettes. Contraint par la météo de faire escale, c’est à Belfast qu’il apprend que le corps d’Éric Tabarly a été repêché par un chalutier breton! Le 22 juillet, avec l’équipage de Pen Duick, il assiste à la cérémonie religieuse en la cathédrale de Dublin. Deux jours plus tard, pour l’anniversai­re d’Éric Tabarly, Pen Duick passe à l’endroit où le célèbre navigateur est tombé à la mer. Et Jacques Rebec de raconter dans un sourire : «On a débouché une bonne bouteille de châteauneu­f-du-pape et on a bu un verre à la mémoire d’Éric. »

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 ?? (Photo Patrick Blanchard) ?? À l’initiative de Jacques Rebec, comme chaque année depuis vingt ans, une messe à la mémoire du célèbre navigateur Éric Tabarly sera célébrée ce mercredi  juin à  h en la cathédrale de Toulon.
(Photo Patrick Blanchard) À l’initiative de Jacques Rebec, comme chaque année depuis vingt ans, une messe à la mémoire du célèbre navigateur Éric Tabarly sera célébrée ce mercredi  juin à  h en la cathédrale de Toulon.

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