Var-Matin (La Seyne / Sanary)

À  ans, elle devient SDF à cause de mauvais payeurs

Roquebrune-sur-Argens À la suite des impayés de ses locataires, Nadine Olivier a été contrainte de vendre l’appartemen­t qu’elle occupait à Fréjus et se retrouve sans domicile fixe

- CARINE BEKKACHE cbekkache@nicematin.fr

Nadine Olivier inspire un bon coup, puis lâche dans un souffle : « Jamais je n’aurais pensé me retrouver dans une telle situation. Jamais…» Elle se prend la tête entre les mains. À ses côtés, son avocat, maître Emmanuel Bonnemain, explicite : «L’appartemen­t roquebruno­is de Mme Olivier est loué depuis novembre 2016. Seulement voilà, depuis leur entrée dans les lieux, ses locataires n’ont jamais versé un centime de loyer. » Le visage de Nadine se décompose. «Pourtant, je ne suis pas naïve, reprend-elle. Mais ils me paraissaie­nt fiables et étaient si sûrs d’eux… » Que cette Alsacienne, installée dans l’Est-Var depuis plus de trente ans, n’a rien vu venir. Elle poursuit : « D’entrée, et c’était une volonté de leur part, la communicat­ion a été verrouillé­e. Nous n’échangions que par lettres recommandé­es, uniquement. » Ainsi, après des mois passés à multiplier les tentatives de prise de contact infructueu­ses, Nadine se rend à la maison des droits à Saint-Raphaël. «Le dossier nous dépasse, m’ontils dit. Prenez un avocat, ou essayez de trouver une conciliati­on. » Cette dernière étant impossible, le premier choix s’impose de fait. Mais n’est pas de gaieté de coeur pour celle qui, à 51 ans, n’ose alors à peine imaginer l’engrenage administra­tif dans lequel elle s’apprête à basculer. Maître Bonnemain sort une feuille de son dossier : « Par jugement du 18 août 2017, précise-t-il, le tribunal d’instance de Fréjus a prononcé la résiliatio­n du bail, condamné les locataires au paiement des impayés et ordonné leur expulsion. Les locataires ont interjeté appel, mais n’ont jamais soutenu ce recours comme l’a constaté la cour d’appel d’Aix-enProvence en une ordonnance de caducité datant de janvier dernier. » Il hausse les sourcils. « Étant donné que la première requête a été présentée en mars 2017 et que le jugement à l’audience s’est déroulé en juin, on aurait pu espérer que le tribunal rende sa décision un peu plus rapidement. Mais passons… » Et allons à l’essentiel : une fois le jugement rendu, Nadine est-elle donc en mesure de récupérer son bien ? Son avocat grince des dents : « Elle était censée en reprendre possession, oui. Mais entre temps, il y a eu la trêve hivernale et la caducité de l’appel. Et bien que tout cela soit désormais derrière nous, nous ne parvenons toujours pas à faire exécuter la décision de justice ! » Pourquoi ? «Parce que l’État n’accorde pas le concours de la force publique. Autrement dit, ne permet pas à l’huissier de s’adjoindre les services du commissari­at, du serrurier, etc, pour procéder à l’expulsion des locataires. » Est-ce un refus explicite ou un silence tacitede la part des services de la sous-préfecture ? «C’est la procédure normale qui prend son temps, ironise Emmanuel Bonnemain. La décision de justice a été rendue. La balle est désormais dans le camp de l’administra­tion. » Où l’“humain” ne semble pas avoir sa place… « Aujourd’hui, je me retrouve dans une situation financière dramatique, avoue Nadine. Et me voilà fichée à la Banque de France, après y avoir déposé un dossier de surendette­ment suite aux impayés. » Le regard empreint de tristesse, elle ajoute : « L’an passé, j’ai fait un burn-out, m’obligeant à quitter mon poste d’auxiliaire de vie. Je pouvais difficilem­ent m’occuper des autres alors que je n’arrivais plus à me gérer moi-même. Je ne dormais plus et mes problèmes de thyroïde ont repris. » Et pour couronner le tout : « J’avais souscrit un crédit pour l’acquisitio­n de ce logement à Roquebrune mais, faute de règlement des loyers, la seule solution pour le solder était de vendre mon second appartemen­t, que j’occupais à Fréjus. » Opération devenue effective le 29 mai… Et maintenant ? Nadine se mordille les lèvres. «Depuis cette date, je suis une vagabonde. Je n’ai plus de domicile fixe. » Les mots sont lourds. Douloureux. «Je n’ai jamais vécu comme ça… À devoir squatter à droite, à gauche. C’est compliqué, car mes amis ont leur vie. Je ne veux pas m’imposer alors, certains soirs, il m’arrive de dormir dans ma voiture. » « Et ce n’est pas faute d’avoir alerté la sous-préfecture sur l’urgence absolue de la situation, s’exaspère maître Bonnemain, brandissan­t les deux lettres adressées au souspréfet. La seule réponse qui m’a été faite a été la suivante: le dossier est en cours d’instructio­n et dans l’attente des résultats de l’enquête sociale. Puis, plus rien, malgré une relance. » Il souffle. « Au lieu de traiter cette affaire de manière prioritair­e, ils attendent le retour d’enquête. En clair, le dossier dort tranquille­ment avec les autres. Je trouve qu’il y a une certaine légèreté dans les bureaux de la sous-préfecture… » « Je ne demande pas un passe-droit, rappelle Nadine, mais simplement, mon dossier étant prêt et complet, l’exécution de la décision de justice prise il y a dix mois. » Elle baisse le regard. « Je suis en train de vivre le cauchemar de ma vie. J’angoisse à l’idée de la prochaine trêve hivernale. Si la situation n’a pas bougé d’ici là, je le sais, je ne vais pas tenir. Et je commettrai un geste désespéré… »

Si rien ne bouge, je commettrai un geste désespéré ”

 ?? (Photo Philippe Arnassan) ?? Burn-out, problèmes de santé, situation financière dramatique... « Je suis devenue une vagabonde, regrette Nadine Olivier. Jamais je n’aurais pensé me retrouver dans une telle situation ! »
(Photo Philippe Arnassan) Burn-out, problèmes de santé, situation financière dramatique... « Je suis devenue une vagabonde, regrette Nadine Olivier. Jamais je n’aurais pensé me retrouver dans une telle situation ! »

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