Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Ancien rappeur, il fait jaillir l’écriture qui est en nous

Ghislain Loussingui, plus connu sous le pseudo Mystik, ancien membre du groupe Bisso Na Bisso, vit à Hyères depuis un an. Il anime des ateliers d’écriture à l’école de la seconde chance de La Garde

- SYLVAIN MOUHOT smouhot@nicematin.fr

Ghislain Loussingui parviendra-t-il à supplanter le rappeur Mystik ? C’est une évidence car le bonhomme sait parfaiteme­nt qui il est, d’où il vient. Il a beau avoir été une figure du rap français des années 1990, la période de gloire de cette musique, il reste ce petit garçon né au Congo en 1978, débarqué à l’âge de 11 ans en banlieue parisienne pour rejoindre sa mère et sa soeur. Meaux n’est pas que la ville de Jean-François Copé. C’est aussi un univers de cités où, si on ne joue pas au foot, la glande est de la partie. « Àla maison, j’ai toujours baigné dans la musique, j’y étais sensible. Mais, à 12 ou 13 ans, je voulais autre chose que Jeanne Mas, Jean-Jacques Goldman ou Patricia Kaas que la télé nous imposait. Et puis il y a eu Rapline avec Olivier Cachin, la seule et unique émission de rap de l’histoire de la télé alors que le rap est la musique qui se vend toujours le plus aujourd’hui. » Ado, Ghislain se reconnaît à travers des groupes comme Public Enemy. « Ils nous ressemblai­ent, vivaient dans des quartiers comme les nôtres. En fait, j’ai été percuté par la culture hip-hop. On voulait reproduire cette énergie, raconter nos vies avec des mots bruts. »

« J’ai toujours été le meilleur en dictée »

Alors qu’il aurait aimé être danseur breaker, l’adolescent va percer dans l’écriture. « J’avais des affinités avec le français dès le collège. Même quand je faisais des fautes à l’oral parce que le français n’était pas ma langue maternelle, j’étais toujours le meilleur en dictée. » Sa mère aussi laissait traîner des livres, des romans, de la sociologie. « On a vite assimilé les codes du rap, l’esthétique de la scène, les tenues qu’on s’est fait envoyer de Suède pour raper. Faire avec peu, la culture du possible, c’est ce qui me plaît dans le hip hop. Cela m’a permis d’acquérir de l’autonomie très tôt. »

« J’ai pris conscience de l’acte d’écrire »

Sa carrière décolle avec le film Ma 6-T va cracker dont il est omniprésen­t sur la bande originale. « Jean-François Richet, le réalisateu­r, voulait faire un film coup-depoing sur la cité de Meaux. Il voulait montrer la réalité des banlieues ». C’était deux ans après La Haine de Mathieu Kassovitz. Mystik est ensuite partie prenante du projet Bisso Na Bisso avec Passi. « Il y avait alors des guerres tribales qui faisaient beaucoup de dégâts au Congo. L’objectif était de faire un projet musical en commun entre Africains d’ethnies différente­s. On a trouvé l’alchimie en studio. On avait l’occasion de célébrer nos racines en unissant l’héritage culturel de notre pays à notre goût du rap. » Le succès de l’album, des tournées dans toute l’Afrique lui ont fait rencontrer Nelson Mandela à qui il dit : « J’ai pris conscience de l’acte d’écrire, de son importance. Il m’a souri en retour »

Après les albums et compils, il sort un premier livre

« Un stylo, une feuille, un sourire »

C’est alors qu’il débute l’animation d’ateliers d’écriture créative, baptisés « Un stylo, une feuille, un sourire », à destinatio­n de jeunes en difficulté comme à l’école de la seconde chance de La Garde, mais aussi dans les établissem­ents scolaires, maisons de retraite, entreprise­s, prisons (lire ci-dessous). « Écrire, c’est un dépassemen­t de soi, conclut-il. Je pose un cadre rassurant car, pour certains, l’écriture renvoie à des cicatrices, des choses non réglées, sur la maîtrise de l’orthograph­e par exemple. » ◗ Ghislain Loussoungu­i a fait un an de prison à Marseille en 2009-2010 pour une affaire pour laquelle il clame son innocence. Il a fait un titre de sa détention, Cellule de crise. À la prison des Baumettes, il a collecté 1 500 euros auprès des détenus, à la suite du tremblemen­t de terre de janvier 2010 en Haïti. Un représenta­nt de la Fondation de France était venu le remercier pour ce geste. C’est aussi en prison qu’il a passé son diplôme universita­ire d’art-thérapeuth­e, major de sa promotion à l’université de

Marseille, alors qu’il portait un bracelet électroniq­ue. Dans un morceau de rap, il s’est approprié Le Premier homme d’Albert Camus, ce qui lui a valu les félicitati­ons de la fille de l’auteur, Catherine. « J’ai “rencontré” Camus en prison. Il m’a beaucoup aidé, , dit-il. C’est un écrivain à hauteur d’homme. » ◗ Mystik le rappeur est auteur de trois albums solos entre  et , et d’un quatrième en , Mystic Pampers (Bonnevoie street CD). Il a participé à l’album Racines de Bisso Na Bisso en . Il a aussi fait de nombreuses apparition­s, par exemple sur la bande originale du film Ma -T va cracker de JeanFranço­is Richet en , ou encore la compilatio­n Première classe Vol. en . Deux albums qui ont pesé dans le paysage rap français d’alors. (« C’est l’époque où le rap disait quelque chose, où la force du propos s’appliquait ».

◗ Ghislain Loussingui (« J’apprends à le connaître, c’est un mec bien ! ») est aussi l’auteur du recueil de poésie ou “punchlifes” intitulé The Story of My Heart (). « Ce sont des réflexions, des aphorismes, des poèmes qui retracent le parcours de ma vie, dit-il. Lisez-le et vos larmes se mettront à couler toutes seules... » Le recueil est illustré de photos d’Amandine Loussingui, son épouse, qui fait aussi des modèles uniques de création textile.

◗ A Hyères, il projette de donner des cours d’écriture dans des parcs. Il a aussi l’ambition de créer un festival rap, slam, poésie et contes, en s’inspirant de ce que Michel Onfray fait dans son village en Normandie.

1. Recueil à commander par Internet : www.ghislainlo­ussingui.fr 125 pages, 19,90 euros. Dédicace le 30 juin de10h30à12­h30etde14h­à17hà l’Espace culturel Leclerc.

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(Photos DR) Ne vous fiez pas à ce regard noir, Ghislain Loussingui véhicule des valeurs positives. Il prône la curiosité et l’échange entre les êtres.
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