Var-Matin (La Seyne / Sanary)

«Le fait d’être ensemble augmente l’épidémie de joie»

Boris Cyrulnik, psychiatre

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Comment le psychiatre explique-t-il la ferveur qui s’empare des amateurs de foot à l’occasion du mondial ?

Ceux qui aiment le football viennent chercher un événement de fête et un sentiment d’appartenan­ce. On se rassemble, on se déguise, on chante, on boit et on espère que l’équipe qui nous représente va gagner, mais c’est un prétexte à éprouver un sentiment d’événement dans une routine morose.

Pourquoi devient-on supporter ?

Il faut que l’équipe nous représente de façon à ce qu’on éprouve un sentiment d’appartenan­ce. On s’applique à éviter de savoir que les joueurs sont des mercenaire­s pour penser qu’ils désirent nous représente­r.

Pourquoi est-il plus excitant de se rassembler pour regarder le match ?

Le fait d’être ensemble augmente l’épidémie de joie ou de colère. Il y a d’ailleurs des expériment­ations avec des films. Tout seul face à l’écran, un spectateur n’a presque pas d’émotion visible. Il suffit de faire entrer un ou deux compères pour décupler l’expression des émotions. Le fait de se rassembler crée la sensation d’événement émotionnel qu’on espère.

Au final, les performanc­es des joueurs ne vont rien changer à la vie quotidienn­e des spectateur­s. Pourquoi est-ce vraiment important ?

C’est important parce qu’on ne se sent vivre que s’il y a des événements. Là, on crée un événement. Ce n’est pas rien quand même.

Quelle est la bonne distance pour que la fête reste une fête ?

Quelqu’un qui est suffisamme­nt équilibré est capable d’éprouver une émotion et de jouer à être heureux s’il gagne et à être triste s’il perd. Il va jouer à créer un événement.

C’est retrouver une part d’enfance ?

Quand on est enfant, on idolâtre les joueurs de football. Quand on devient adulte, on joue et on «surjoue » les émotions. Quand je vais voir un match, je me laisse aller à pousser des cris d’admiration ou de déception. Et je suis très content parce que j’éprouve un véritable sentiment. Mais les joueurs ne sont plus des idoles, je ne me prends plus au sérieux. Mais attention, un plaisir d’enfant, ce n’est pas rien. C’est important de s’offrir un moment de régression.

La clé, c’est donc de ne pas prendre tout trop ça au sérieux ?

Bien sûr, car ces sentiments peuvent être récupérés de manière criminelle, de manière idéologiqu­e. L’exemple historique, c’est évidemment les Jeux Olympiques de  où les nazis voulaient démontrer la supériorit­é des athlètes blonds. C’est aussi la façon dont les pays de l’Est communiste­s ont massacré des centaines de milliers d’enfants pour produire quelques athlètes, de façon à obtenir des médailles dont l’enjeu idéologiqu­e était de démontrer que le système communiste était meilleur que les autres. Très vite, ça peut dériver et là, on ne peut plus jouer. On va se laisser piéger par un sentiment criminel de nationalis­me, de supériorit­é et de mépris des autres… Mais ça n’arrivera pas avec les Belges. Ce sont nos petits frères.

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