Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Données des patients : faille à l’hôpital Bonnet

Derrière la faille, un prestatair­e privé qui compte l’hôpital intercommu­nal parmi ses clients

- NICOLAS PASCAL npascal@nicematin.fr

Tous les ambulancie­rs varois qui ont accès aux logiciels de coordinati­on des transports de santé (1) peuvent accéder, non pas à la fiche médicale détaillée de chaque patient transporté, mais à son adresse, à sa pathologie (via le nom du service hospitalie­r dont il dépend) et à quelques autres éléments. Les ambulancie­rs, mais aussi tous ceux qui ont accès à ces logiciels : personnel d’hôpital, de clinique, informatic­iens, etc. Cette faille dans la protection et la sécurité des données a été mise au jour par deux « lanceurs d’alerte » que sont Claude Delesse, président du syndicat départemen­tal des ambulancie­rs varois et viceprésid­ent de la Fédération nationale des ambulancie­rs privés, et son fils Frédéric Delesse, gérant de l’entreprise Bel Azur (2). Comment en est-on arrivé là ? Retour une année en arrière... Pour faciliter le flux des patients, notamment aux urgences, le centre hospitalie­r intercommu­nal de Fréjus Saint-Raphaël, comme la plupart des autres hôpitaux, met en place, il y a environ un an, une plateforme téléphoniq­ue avec tous les ambulancie­rs inscrits.

« Un grave dysfonctio­nnement »

Histoire d’obtenir le plus rapidement possible un ambulancie­r pour ses patients. Il fait alors appel à la société SMS (Santé Mobilité Services). « Avec ce système, l’hôpital pourrait appeler directemen­t la plateforme, qui, elle, se chargerait d’envoyer des messages à tous les transporte­urs et trouver l’ambulancie­r le plus proche qui pourrait intervenir le plus rapidement possible », explique alors la direction de l’hôpital. Cependant, la société d’ambulance Bel Azur s’estime lésée, car écartée du système. Elle manifeste son mécontente­ment. Si aujourd’hui, l’un des deux hommes à lancer l’alerte est justement le gérant de Bel Azur, « ce n’est pas pour régler [s]es comptes, mais pour mettre le doigt sur un grave dysfonctio­nnement du système », assure Frédéric Delesse. « Le 9 août dernier a été mis en place un système analogue pour le Samu, explique-t-il. Je reçois alors mes identifian­ts et me connecte au système. Sur le portail web de l’hôpital toulonnais, j’ai la surprise de lire tous les transports (et les données afférentes) que l’on effectue pour le compte de l’hôpital de Fréjus... En se renseignan­t, on s’aperçoit que cet hôpital a délégué la gestion de ses transports à une société privée qui n’a rien à voir avec celle du Samu. Donc on se pose la question : comment le prestatair­e du CHI de Fréjus et un fournisseu­r d’informatiq­ue pour le compte de l’hôpital de Toulon peuvent-ils partager des données aussi sensibles que celles des patients ? Tout part de là. » Comme si, en se connectant à un compte d’achats sur Internet, on pouvait lire les transactio­ns d’un autre compte concurrent... Claude Delesse va plus loin et donne sa version : « L’hôpital de Fréjus a sous-traité la gestion des transports à SMS, une boîte privée, depuis juillet 2017. Ce prestatair­e retenu, sans mise en concurrenc­e, est lui-même ambulancie­r... Il y a conflit d’intérêt ! Depuis 2017, Bel Azur est en contentieu­x avec l’hôpital à ce propos. » La nouvelle direction du CHI (lire ci-dessous) compte éclaircir la situation. « On l’a récemment rencontrée, précise Frédéric Delesse. Elle se dit surprise de voir ses données se “trimballer” partout... Quand on sait que l’hôpital de Toulon a bloqué en 24 heures le logiciel à cause de cette faille, on attend toujours que l’hôpital Bonnet réagisse... Mais ils renvoient la responsabi­lité à la société SMS. » La société Bel Azur a fait constater par huissier la fuite de données « car il y en a qui nous concernent. Dans cette base de données ouverte aux quatre vents, s’y enregistre aussi les incidents de transport quand il y en a, par exemple. J’aspire à ce que ces éléments ne soient pas divulgués à tous, dont mes confrères concurrent­s... On est à l’opposé de ce que préconise la CNIL ou le RGPD (3) ! » La société Bel Azur a d’abord formé un recours contre la convention avec SMS au tribunal administra­tif, et a déposé une plainte au parquet de Toulon pour un délit de favoritism­e entre l’hôpital de Fréjus et la société SMS (4). « Maintenant, on va communique­r au juge d’instructio­n les nouveaux éléments que l’on a sur le manque de fiabilité du prestatair­e. » Claude Delesse insiste sur le fait que « le dirigeant de SMS est le président de la Fédération nationale des transporte­urs sanitaires... Il joue sur ses deux casquettes, vendeur de plateforme et président de fédération. » Une petite bombe au passage dans le landerneau des ambulancie­rs...

1. Le logiciel web SpeedCall de l’entreprise Sanilea où sont gérés les transports pour le Samu ; et l’autre, un peu plus ancien, c’est le logiciel web “concurrent” de SMS (Santé Mobilité Services) pour les autres transports de santé. 2. La société toulonnais­e « Côte d’Azur », créée en 1970, a repris en 1989 les Ambulances Hyéroises, et est implantée en tant que Bel Azur à Fréjus, SaintMaxim­in,Saint-Cyr,Bandol,Saint-Tropez,Brignoles… 3. La CNIL est la Commission nationale de l’informatiq­ue et des libertés et RGPD signifie Règlement général sur la protection des données. 4. Nous avons cherché, en vain, à joindre cette société basée à Bouc-Bel-Air, dans les Bouches-du-Rhône.

Pour nous, il y a conflit d’intérêt ”

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(Photo N. P.) Claude Delesse révèle d’importante­s failles de sécurité au sein de l’entreprise Santé Mobilité Services, auquel l’hôpital EmileBonne­t fait confiance.
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(Capture d’écran du logiciel SpeedCall) N’importe quel ambulancie­r, même des mois après, peut par exemple voir dans quel service est traité un patient. Dans le cas ci-dessus, il souffrirai­t de cancer...

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