La famille: «Affaire et enquête étouffées»
«On nous l’a arraché». Derrière le calme avec lequel ce constat est posé, la plaie ne s’est jamais cicatrisée. Aujourd’hui, trente-deux ans après, Jérôme et Jean-Christophe Perrin, 19 et 24 ans au moment de l’assassinat de leur père Daniel Perrin, n’ont pas oublié ce jour tragique. « Pour nous, qui n’étions pas du tout impliqués politiquement, il a marqué la fin de l’insouciance », témoignentils, convaincus qu’on ne retrouvera jamais les assassins. «Notre sentiment, c’est qu’il n’y a pas eu de véritable enquête », s’émeut l’aîné, qui a pris la suite de son père à l’Agence Méditerranéenne, cabinet d’assurances et agence immobilière que ce dernier a fondé à La Seyne en 1956. Son frère Jérôme renchérit : « À l’époque c’était comme au Far West : on vient déménager le bureau de notre père à la mairie dans la nuit, il n’y a pas de scellés posés, sa secrétaire particulière reste muette… ». Et ni les avocats Me Jean Pin et Me Gilbert Collard, qui a pris la suite du premier, n’ont pu faire grand-chose. « Nous avons eu l’impression d’un délaissement au niveau de l’enquête, mais aussi de tous ces hommes politiques qui se sont empressés de nous tourner le dos. Il était le trésorier de l’ex-Parti Républicain et François Léotard, qui en était le secrétaire général et s’est affiché sur des photos avec lui, avait affirmé qu’il ne le connaissait pas! Personne n’a rien dit. Les élus locaux ont eu peur, un ou deux juges ont eu des promotions et sont partis… On avait l’impression que ça venait de très haut pour que tout soit étouffé. »
Témoin clé et jamais interrogé…
Et ce ne sont pas des paroles lancées en l’air. Jérôme Perrin témoigne : « Vous vous rendez compte que c’est moi qui le premier ai découvert mon père mort, ai vu la moto des tueurs passer devant la maison et que je n’ai jamais été entendu ni interrogé par la police ! Jamais. » La fin de l’insouciance. « Notre mère avait même été menacée par téléphone: “Si vous dites quelque chose, il arrivera la même chose à vos enfants”. Elle ne savait rien, mais eux ne le savaient pas… » Pour la famille, pas de doute : «On sait que cette affaire tourne autour de la politique. Dans un contexte politico-mafieux et comme nous l’avons appris plus tard, de rivalité entre l’ouest-Var et Toulon, sur fond d’élections sénatoriales. » Jean-Christophe Perrin poursuit : «On a essayé de nous faire croire à une piste professionnelle. Notre père, agent d’assurances, syndic d’immeuble, promoteur, serait impliqué dans des dossiers… Ce n’était pas le cas. J’ai pris sa suite et je n’ai rien constaté de particulier… On nous a même dit que cela pouvait être un coup d’Action Directe, des communistes… » À l’époque, les enquêteurs s’intéressent effectivement à plusieurs projets publics. «Un seul a émergé peu de temps après sa mort : la création de la zone de Signes. Notre père, l’homme fort de la municipalité Scaglia, s’y opposait et voulait recréer un tissu économique à La Seyne. Il a eu la surprise d’apprendre que cela se faisait là-bas. Il est mort en août et, bizarrement, en septembre je crois, le projet était lancé. Cela a ancré le sentiment que sa mort s’était décidée très vite et qu’il était urgent de le tuer. On ne lui a adressé aucun avertissement. Vu sa personnalité, il ne l’aurait pas toléré et aurait parlé. » Jérôme et Jean-Christophe gardent en effet le souvenir d’un père «gros travailleur, très généreux, d’une intégrité exemplaire – même respecté par ses adversaires politiques communistes – et qui avait son franc-parler. Finalement un peu naïf aussi ». Daniel Perrin, en sont-ils convaincus, «est mort pour son honnêteté. Dans le mois qui a précédé son assassinat, il avait raconté à notre mère qu’il avait répondu sur le ton de la plaisanterie à ceux qui lui avait proposé une somme d’argent conséquente: “Oh mais moi, vous savez, il en faut bien plus que ça pour m’acheter”. Ses interlocuteurs lui avaient alors renvoyé : “Mais M. Perrin, on n’en est pas à un milliard [de francs] près”. Il cloisonnait et, heureusement pour nous, n’en a pas dit plus ».