La troisième voie sera-t-elle suffisante pour désengorger l’A ?
Les automobilistes varois l’attendent depuis des années. La création d’une troisième voie suffira-t-elle toutefois à fluidifier le trafic aux abords de la métropole varoise ? Chez Vinci Autoroutes, on en est persuadé. Mais tout n’est pas si simple…
Quel que soit l’horaire ou la saison, l’autoroute A57 qui relie Marseille à Nice présente toujours le même visage aux abords de la métropole toulonnaise. Celui d’un axe complètement surchargé. «C’est vrai que c’est une particularité de Toulon, concède Salvador Nunez, directeur d’opérations chez Vinci Autoroutes. Le trafic y est soutenu tout au long de la journée, même en dehors des heures de pointes.» Pour lui, l’explication tiendrait en partie au «caractère très urbain de cette portion d’autoroute inscrite dans la ville». Comme le répète à l’envi Yannick Chenevard, adjoint au maire de Toulon chargé de la voirie: «Il faut toujours rappeler la configuration géographique de Toulon. Sur les 22 métropoles de France, détaille-t-il, pas une seule n’est enserrée ainsi entre mer et montagne». Suivant le même raisonnement, les irréductibles défenseurs du tramway toulonnais ont tendance à rappeler pour leur part que
«sur toutes les métropoles de France, Toulon est surtout la seule à ne pas avoir de tramway, ni même de transport en commun en site propre». Or, «on ne serait pas dans cette situation actuelle d’embouteillages si on avait fait un tramway», estime Maurice Franceschi, président de Toulon Var Déplacement (TVD).
véhicules par jour
Toujours est-il que plus de 110 000 véhicules défilent chaque jour en moyenne sur cette portion d’autoroute (dans les deux sens confondus). Si Yannick Chenevard a beau parler de «fluidité intéressante» ,en comparaison à « il y a cinq ou six ans, lorsqu’il fallait 1h30 pour passer d’est en ouest de la ville» (avant la fin des travaux du tunnel), pas sûr que les automobilistes varois soient tous d’accord avec sa vision des choses. Alors, en attendant de pouvoir se déplacer en taxi volant, Vinci Autoroutes s’est vu confier le projet d’agrandissement de l’A57 de deux à trois voies entre la sortie est de Toulon et la bretelle d’accès à l’A570 en direction d’Hyères. Objectif: «limiter les congestions régulières» qui s’expliquent par une «inadéquation évidente entre le nombre de voies ouvertes et le trafic soutenu». «Il faut trois voies a minima pour que ça roule bien», certifie Salvador Nunez. Seulement voilà. Différentes études ont prouvé que la multiplication des voies d’autoroute ne réduisait pas automatiquement les embouteillages.
Une solution qui fait débat
Au contraire même. Au Texas, la plus grande autoroute du monde, dotée de… 26 voies, en est l’illustration parfaite. Inaugurée en 2008, la Katy Freeway est encore plus bouchée aujourd’hui qu’avant les travaux d’élargissement. Cette démonstration a un nom. On appelle ça le paradoxe de Braess, en référence au mathématicien Dietrich Braess qui a mis en évidence sa réflexion il y a déjà 50 ans. Selon lui, et à partir de données purement mathématiques, l’ajout d’une nouvelle route peut réduire la performance globale du réseau routier concerné lorsque les entités qui se déplacent choisissent la route individuellement. Autrement dit, et pour résumer grossièrement: plus on construit de routes, plus on incite les gens à utiliser leur voiture… Une thèse vite balayée chez Vinci Autoroutes. «Dans des configurations urbaines comme Toulon, je ne crois pas que la création de la troisième voie va générer un nouveau trafic. Pourquoi y auraitil subitement plus de monde? D’où viendraient ces gens? C’est une réflexion globale», évacue Salvador Nunez. Pas la peine d’aller chercher très loin pour trouver de bonnes excuses à de nouveaux automobilistes de circuler dans le coin. L’ouverture en avril 2017 du centre commercial de l’Avenue 83, à La Valette (le long de l’A57) n’est sans doute pas étrangère à l’augmentation du trafic. Tant mieux pour les accrocs au shopping, tant pis pour les autres. Dans la métropole varoise, «on préfère vider les centres-villes en construisant des centres commerciaux en périphérie, et tout ça sans se poser la question du transport», fulmine Maurice Franceschi.
Remonter les bretelles…
Très attentif au projet d’aménagement autoroutier varois, Julien Brunet se veut optimiste: «Ça va sans doute porter ses fruits, prédit le président des taxis toulonnais. Mais pour cela, ajoute-t-il, encore faut-il voir les modalités d’accès d’insertion». Lui insiste sur l’importance «d’avoir des bretelles d’accès les plus fluides possibles». Or, les feux de régulation placés aux entrées de l’autoroute ne devraient pas disparaître. Une hérésie pour le représentant des taxis toulonnais. Car c’est souvent là que le bât blesse lorsqu’on décide d’élargir les autoroutes. «Après, tout dépend de l’environnement, de la configuration des lieux, de la présence des transports en commun alentour», explique quant à elle Saskia Hermans, fondatrice de l’agence en mobilité durable Mobile 21. « Souvent, complète l’ingénieur transport, basée à Mouans-Sartoux (Alpes-Maritimes), lorsqu’on ajoute du goudron, cela apporte des progrès à court terme, mais au bout de quelques années, le problème revient.»
Impact environnemental
Selon Maurice Franceschi, une nouvelle voie permet d’accueillir «près de 2000 véhicules par heure». Mais lui aussi craint que «l’entonnoir se déplace juste un peu plus loin». Et le président de TVD d’évoquer au passage «l’impact négatif» d’un tel projet en matière environnementale : «Tout cela est contraire à la feuille de route du gouvernement pour être dans les clous des directives européennes au niveau des émissions de particules fines.» Du côté de chez Vinci Autoroutes, l’optimisme reste de mise. Pour Salvador Nunez, ce vaste chantier d’élargissement de l’A57 « va permettre d’améliorer sensiblement les conditions de circulation». Mais de là à dire qu’il n’y aura «plus de tout de congestion aux heures de pointe», le directeur des opérations de Vinci Autoroutes reconnaît que c’est un peu présomptueux. «Le système a aussi ses limites, tempère-t-il en effet. On ne peut pas laisser penser qu’avec ces aménagements, on roulera à 90 km/h partout… On va aménager les échangeurs, revoir la géométrie des bretelles pour faciliter la circulation au mieux, mais si on arrive à un croisement ou un giratoire, l’effet d’élargissement de l’autoroute s’arrêtera à ce niveau-là. C’est pour cela, conclut-il, qu’il faut aussi favoriser les transports en commun et le covoiturage.»
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