«Les gens ont besoin de dire ce qu’ils ont vécu»
Manuel Prieto, directeur de l’Association Vivre en Famille (Avef), en charge des cellules d’écoute psychologique
L’Association Vivre en Famille (AVEF) est mandatée par la Ville pour mettre en oeuvre des cellules d’écoute psychologique au profit des personnes choquées ou traumatisées par les événements survenus à Berthe. Explications avec son directeur, Manuel Prieto.
Comment fonctionne l’Avef?
L’Avef existe depuis l’an . Elle mène des actions de soutien à la fonction parentale dans les quartiers prioritaires au titre de la politique de la Ville, à savoir Berthe et le centre-ville. Nous travaillons en réseau et en collaboration avec les structures du quartier et au sein d’associations partenaires (la Maefe, Femme dans la cité et le centre Nelson-Mandela), mais également en étroite collaboration avec les services de la mairie et de l’État. Au lendemain du drame qui a coûté la vie à deux jeunes, on nous a demandé de faire des débriefings par le biais de nos psychiatres et psychologues, salariés de l’association, qui sont formés à la prise en charge posttraumatique, de manière individuelle et collective.
Comment se déroulent ces débriefings ?
Nous en proposons quatre cette semaine. Deux ont déjà eu lieu ce mardi au sein de la Maefe et de l’association Femme dans la cité – qui accueillent nos spécialistes. Jeudi, de h à h, un débriefing aura lieu au centre social Nelson-Mandela. Et vendredi matin, un autre est programmé au sein de la structure sportive municipale située au Germinal. Cela va nous permettre de repérer les personnes les plus impactées et de leur proposer une offre de soin, si besoin.
Quels types de soin peuvent être proposés ?
Nos spécialistes sont formés aux techniques EMDR qui ont été développées par les Américains pour les soldats qui ont vécu la guerre du Vietnam, puis pour ceux qui revenaient d’Irak, notamment. Cette technique, qui signifie « eye movement desensitization and reprocessing » consiste en une désensibilisation et un retraitement par les mouvements oculaires. On sait en effet que, neurologiquement, les traumatismes de tous ordres se concentrent dans une partie du cerveau. Donc, par différentes méthodes, on arrive à titiller cette partie afin de la “dépolluer” de l’impact du traumatisme. Ça ne l’efface pas, mais ça permet aux gens de vivre le traumatisme autrement. De plus, nous avons un psychologue formé à l’hypnose, pour ce même type d’intervention.
Vous avez eu beaucoup de retour de familles « impactées » par le drame de lundi ?
Oui, dès lundi matin, nous avons reçu plein d’appels de familles du quartier qui nous connaissent par le biais des groupes de parole que nous organisons sur place, autour de la fonction parentale. Un lien de confiance s’est créé avec les gens. Pour eux, c’est naturel de nous appeler, et pour nous, c’est une évidence de les aider. Ces gens ont besoin de parler, de dire ce qu’ils ont vécu, de faire part de leurs inquiétudes pour leurs propres enfants, d’être rassurés. Du reste, on voit déjà les conséquences du drame de lundi : une directrice de crèche du quartier m’a dit que des familles l’ont appelée pour désinscrire leur enfant afin qu’il reste à la maison. Certains ont aussi indiqué que leurs enfants n’iront plus à la bibliothèque pour ne pas avoir à se déplacer dans le quartier…
Vos actions en faveur de ces familles se prolongeront-elles au-delà de cette semaine ?
Bien sûr, le sujet sera forcément abordé dans les groupes de parole qui étaient déjà programmés avec les parents et qui auront lieu dans les semaines à venir.
Quel est votre regard sur ce qu’il se passe à Berthe ?
Jusque-là, le quartier était assez préservé, notamment grâce à l’implication du tissu associatif soutenu par la municipalité. Mais depuis quelque temps, il semble que le “nettoyage” fait dans les cités de Marseille a déplacé un phénomène de trafic de drogue, vers La Seyne. Certes, il y a toujours eu du trafic à Berthe, mais cela ne se réglait pas à la kalachnikov. Il se trouve que, parallèlement, il y a de plus en plus de gens qui sont laissés pour compte, et donc de familles à la recherche de revenus… On observe aussi que le nombre d’éducateurs sur le quartier a été divisé par deux ces dernières années, faute de moyens. Bref, l’évolution de la situation relève aussi de choix politiques et de choix de société que nous subissons…