Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Réformes de l’éducation: quand l’inspecteur s’en mêle

Fermetures de classes, renforceme­nt de la dictée, interdicti­on du portable… « Faux problèmes, beaucoup de vent » pour Joël Hervé, inspecteur honoraire de l’Éducation nationale

- PROPOS RECUEILLIS PAR CARINE BEKKACHE cbekkache@nicematin.fr

Inspecteur honoraire de l’Éducation nationale, ayant exercé dans le secteur est-varois durant douze ans, Joël Hervé porte un regard critique sur les réformes successive­s de l’Éducation nationale. Selon lui, «les “mesures phares”, qui plaisent aux parents, ne sont qu’une façon de médiatiser l’apparence pour lui donner de la profondeur. Quand, pendant ce temps, l’essentiel de ce qui doit être réformé est délibéréme­nt ignoré. » Le Pugétois le répète : « Mes propos n’engagent que moi ! » Mais ils lui tiennent à coeur…

Commençons avec les rythmes scolaires… Que dites-vous du retour de la semaine de quatre jours dans une grande majorité de communes?

C’est une erreur totale ! En France, les écoliers de l’enseigneme­nt primaire travaillen­t  jours dans l’année, à raison de  heures par jour. La France est le pays de l’Organisati­on de coopératio­n et de développem­ent économique­s (OCDE) qui offre les journées les plus chargées aux enfants. À mes yeux, mais cela n’engage que moi, l’idéal serait de faire travailler les élèves sur cinq jours, en allégeant les journées, en répartissa­nt correcteme­nt les vacances intermédia­ires et en raccourcis­sant les grandes vacances. Je n’invente rien, beaucoup de chronobiol­ogistes le disent. Mais cela est hélas difficile à mettre en place, principale­ment pour des raisons économique­s. Or, il est regrettabl­e que ces dernières passent avant l’éducation, qui est pourtant la priorité des priorités. Alors je m’interroge : de façon totalement démagogiqu­e, le couple MacronBlan­quer a permis le retour de la semaine de quatre jours. Les maires, qui voyaient leur dotation globale de fonctionne­ment baisser, ont été contents. Les enseignant­s, qui ont vu leur temps de travail diminuer, ont été contents. Les parents d’élèves, qui ont de nouveau pu partir en week-end, ont été contents. Et les élèves ?

Le renforceme­nt de la dictée en primaire : de la poudre aux yeux?

Cette mesure sous-entend que les enfants sont mauvais en orthograph­e parce qu’ils ne font plus de dictées. Or, les dictées ont toujours existé et ne sont qu’une composante parmi d’autres de l’apprentiss­age de l’orthograph­e. En faisant cela, le gouverneme­nt a voulu faire appel au faux souvenir de cette école d’avant. Faire croire au retour à une école « sérieuse ». Mais à mon époque, l’échec scolaire, bien que n’étant pas encore nommé ainsi, existait déjà ! Aujourd’hui, cette notion, qui est une invention politique, dégrade l’image de l’école alors que, dans le même temps, il n’y a jamais eu autant de bacheliers et de diplômés… C’est faux, l’école n’est pas un bateau qui coule.

Parmi les problèmes de fond que vous pointez, figure la formation des maîtres…

Celle-ci a été supprimée sous la présidence Sarkozy, les jeunes profs passant directemen­t de la faculté à la salle de classe. La présidence Hollande a placé deux étudiants en responsabi­lité dans la même classe, recevant à tour de rôle quelques rudiments de formation profession­nelle. C’est ainsi que la formation en français, qui était auparavant de plus de  heures, a été diminuée de moitié, atteignant parfois seulement quelques dizaines d’heures selon la formation universita­ire d’origine. Maintenant, il paraît que cela va changer. Mais pour connaître le changement, il faudra attendre la prochaine danse ministérie­lle. Élever le grade universita­ire de tous les maîtres du primaire et du secondaire à Bac +  était positif. Cela aurait dû permettre des allers-retours entre les écoles et les collèges au bénéfice des élèves. On a oublié qu’enseigner est un métier. Et un métier, cela s’apprend !

Selon vous, l’école privée aurait pu être un début de réponse…

On aurait effectivem­ent pu imaginer que l’enseigneme­nt privé soit intégré à la carte scolaire. Mais cette solution est irréalisab­le. À l’origine, les écoles privées devaient accueillir les élèves, sans se soucier de leur origine, leur religion ou encore leur statut socio-économique. Ce qui, en pratique, est loin d’être le cas aujourd’hui. Essentiell­ement catholique­s, contrôlées par l’État avec des programmes identiques au public et des professeur­s payés par le contribuab­le, ces écoles se stabilisen­t autour de  % des effectifs. L’expansion n’a pas eu lieu : les familles se regroupent essentiell­ement pour des raisons religieuse­s, pour faciliter l’entre-soi et surtout pour échapper à la sectorisat­ion quand l’école du quartier déplaît. Pire, un processus de libéralisa­tion de l’école se met subreptice­ment en place. L’exemple le plus grave est celui de l’associatio­n « Agir pour l’école ». Axa, Dassault, Total, La Société Générale, HSBC et beaucoup d’autres financent le matériel informatiq­ue, ainsi que des formateurs pour expériment­er une méthode de lecture censée lutter contre l’échec scolaire. Le ministère met à dispositio­n des enseignant­s et des élèves avec l’engagement de quelques inspecteur­s égarés. Or on peut se poser la question : après avoir privatisé l’eau et la santé, entre autres, les décideurs vont-ils maintenant faire de l’éducation un bien marchand ? Et toutes ces écoles « autrement », qui favorisent l’entre-soi et sont financées par des entreprise­s, sont celles du clivage et de la séparation. Elles mettent profondéme­nt la France en péril…

‘‘ L’échec scolaire ? Une invention politique ”

‘‘ Les décideurs vont-ils faire de l’école un bien marchand ? ”

 ?? (Photo Philippe Arnassan) ?? « Toutes ces écoles “autrement” sont celles du clivage et de la séparation », regrette Joël Hervé.
(Photo Philippe Arnassan) « Toutes ces écoles “autrement” sont celles du clivage et de la séparation », regrette Joël Hervé.

Newspapers in French

Newspapers from France