Quel avenir pour les enfants nés en prison ?
Chaque année en France, quelques dizaines de femmes accouchent derrière les barreaux. La loi les autorise à garder leur enfant jusqu’à l’âge de 18 mois. Ce qui ne va pas sans difficultés
Des petits lits à barreaux à la maison d’arrêt
Elle berce son bébé tout contre elle. Son poupon prison. Petite vie entre les murs. Maria (1) était enceinte de 7 mois quand elle a été incarcérée. Son fils est né il y a trois mois. Depuis, il grandit derrière les barreaux de la maison d’arrêt de Nice. Chaque année en France, quelques dizaines d’enfants naissent en prison. Des bébés conçus avant la détention. Plus rarement, des « bébés parloirs », fruits de grossesses survenues en détention, en unité de vie familiale. Les détenues accouchent à l’hôpital puis retournent en cellule. La loi les autorise à y garder leur bébé jusqu’à l’âge de 18 mois. Une trentaine d’établissements pénitentiaires en France disposent de nurseries. A Nice, ce n’est pas le cas. On a aménagé une cellule mèreenfant, en réunissant deux cellules. Sur la porte, on a peint des nounours et un arc-en-ciel pour adoucir les murs, couleurs d’enfance pour gommer un peu l’enfermement.
« Isolées des autres détenues »
« Vers le cinquième mois de grossesse, on y installe la future mère qui est ainsi isolée des autres détenues, au calme », explique Patricia, surveillante et cheffe du quartier femmes. À l’intérieur, tout est rangé au cordeau : le lit surmonté d’un mobile acidulé, la poussette, et, sur un rayonnage, Maria a aligné les boîtes de lait en poudre, les couches et les biberons. Des produits financés par le petit pécule des détenues, l’administration pénitentiaire prenant le relais en cas d’indigence. « On n’est pas mal ici. Mais c’est dur quand même. J’ai trois autres enfants dehors… Ils me manquent. C’est compliqué aussi pour le bébé. Le voir ici, ça fait mal au coeur » ,dit doucement Maria. Son regard se perd par la fenêtre engrillagée qui donne sur un jardin. La porte s’ouvre. C’est le conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP). Le visage du bébé s’illumine. « Je suis un peu son parrain », plaisante Daniel Karkouz. « On l’a pesé. Il fait sept kilos! », annonce fièrement Maria. Puis, elle demande: « On pourra faire la photo? » Une photo pour le père de l’enfant. « Il n’a pas encore vu le bébé… il n’est pas venu… », se désole Maria. L’administration pénitentiaire autorise des parloirs avec les pères d’enfants nés pendant l’incarcération maternelle. « Mais là, le père est à l’étranger et on n’a pas réussi à le contacter », intervient Sandrine Arduca, la directrice de la détention de la maison d’arrêt de Nice. « C’est toujours compliqué la naissance d’un enfant en prison », poursuit la responsable. « Ce n’est pas comme ça, pas là, qu’on imagine la venue d’un enfant. Quand cela arrive, c’est l’humain qui prime. Il faut d’abord qu’on s’assure qu’il naisse dans des conditions dignes, pas en cellule. Ensuite, on a l’obligation d’assurer la sécurité de l’enfant qui n’est pas une personne détenue. On doit le protéger mais pas s’en occuper. C’est complexe. » L’administration pénitentiaire travaille en convention avec le SPIP, des psychologues, des associations d’accompagnement à la parentalité ou encore la Protection maternelle et infantile (PMI) qui permet aux enfants de voir l’extérieur.
«Son bébé tapait à la porte»
Malgré tout « passer ses 18 premiers mois de vie en détention, ce n’est pas évident pour le développement », déplore Sandrine Arduca. Et ça laisse souvent de profondes cicatrices psychologiques. « Le plus dur, c’est la séparation. On y pense chaque jour. On appréhende ce moment où notre enfant aura 18 mois », témoigne une femme qui a accouché en prison en 1975 (lire page suivante). Cette rupture, Maria ne la vivra pas : elle doit sortir « cet automne ou au plus tard en février ». Pour les mères qui ont une peine plus longue à purger, l’enfant est placé soit dans sa propre famille, soit dans une famille d’accueil quand il n’a pas de proches pour l’accueillir. Certaines, aussi, font le choix de se séparer de leur bébé avant: «Ilya quelques années, se souvient Daniel Karkouz, une détenue a fait placer son enfant à 10 mois parce qu’il tapait à la porte de la cellule pour sortir. » (1) Le prénom a été modifié.