Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Depardieu: «J’ai besoin d’un ailleurs. Je vais vers la vie»

Frisson garanti à Antibes où il chante son «amie de coeur» Barbara, cette semaine au théâtre Anthéa. «Non, je ne me fous pas de tout. Et surtout pas des gens», dit Depardieu dans cette interview sans filet

- PROPOS RECUEILLIS PAR FRANCK LECLERC fleclerc@nicematin.fr

Entre la «grippe d’enfer» venue l’assaillir et le tournage qui l’attend à Saint-Ouen, où il campe l’entraîneur du champion du monde junior d’échecs Farhim Mohammad, Gérard Depardieu, ce matin-là, est «pressé, très pressé». Combien de temps pour croiser le fer au téléphone? «Voyons voir, je vous dirai stop...» On le lance sur Barbara, qu’il vient littéralem­ent incarner du 27 au 29 septembre à Antibes, vingt ans après leur Lily Passion, pour trois représenta­tions exceptionn­elles au théâtre Anthéa. Avec un autre Gérard, Daguerre, qui pour avoir longtemps accompagné la chanteuse peut s’autoriser ce compliment: «De toutes les interpréta­tions que j’ai entendues de Barbara, celle de Depardieu est la plus vraie.» Vrai, l’acteur l’est en tout. Indifféren­t aux jugements, volontiers rentre-dedans. Fascinant, pertinent et souvent même touchant, si l’on esquive les ruades.

Vous donnez peu d’interviews. Pourquoi celle-ci? Parce que c’est Barbara ?

Barbara est toujours pour moi très importante. Mais surtout, je passe trois jours à Antibes, dans ce théâtre que je ne connais pas, et je fais en sorte de bourrer la salle pour que le producteur s’y retrouve. (Un ange passe, on insiste…) Je ne fais pas d’interviews car je n’ai rien à dire qu’on n’ait déjà dit sur moi. Vous n’avez qu’à lire le Paris-Match de cette semaine, ce n’est pas moi ni un journalist­e qui raconte, mais Monsieur Yann Moix. Je ne fais pas confiance aux journalist­es, c’est tout. On est dans un siècle de mensonges et de tweets. Mais tout ça n’est pas grave. Posez-moi la question intéressan­te sur Barbara et je tâcherai d’y répondre.

Dans un extrait que l’on peut voir sur le site du Monde ,pasde colosse ni de « monstre », mais un équilibris­te. Vous êtes sur un fil?

J’ai subi le deuil de Barbara pendant vingt ans. Vingt ans où jamais je ne me suis exprimé, où jamais je n’ai pu même écouter un disque d’elle. Et il y a eu cet anniversai­re de sa mort, préparé par des personnes qui connaissen­t leur métier et qui aiment l’argent. J’ai vu cette foule de gens qui faisaient des spectacles et d’autres choses, bon… libre à eux. Moi, je ne suis pas chanteur. Simplement, je finissais mon deuil et, pour la retrouver, je disais ses mots, ses paroles. Comme j’ai fait   km avec elle et qu’il y avait entre nous une amitié de coeur véritable, j’ai osé faire ce que, je pense, elle aurait aimé entendre.

Vous dites ses textes à la première personne. À cette minute-là, que retrouvez-vous de votre connivence?

Je retrouve cette espèce de force artistique et de vérité qu’elle avait. Tout à fait à la fin, je devais la voir le lundi matin, j’étais en retard d’une journée, elle est partie à l’hôpital américain. Le mardi, j’étais là pour la mise en bière. J’ai suivi Barbara jusqu’à sa dernière demeure, au cimetière de Bagneux. Les mots que je dis entre des chansons qui sont quand même assez lourdes, c’est pour décrire la femme qu’était Barbara. Extrêmemen­t curieuse, à l’affût de toutes les nouvelles, mais ne pouvant voir personne car les gens lui prenaient beaucoup d’énergie. Elle préférait se retirer chez elle, où j’avais accès quand je le voulais. Il n’y avait pas d’obligation de se voir. Mais elle était très heureuse quand je venais, et moi j’étais très heureux de parler avec elle. Donc, des mots pour essayer de montrer quelle personne elle était. Attentive. À l’écoute. Prenant soin des vieux. Prenant soin aussi de tous ces gens qui étaient malades du sida, chose horrible. Barbara était l’oeil et l’oreille de toutes ces âmes en détresse.

De ce point de vue, vous sentezvous proche de ce qu’elle était ?

Bien entendu. J’étais très, très, très en accord avec elle. Encore aujourd’hui, je n’aime pas m’exprimer. J’aime écouter, regarder. Je ne peux pas faire de la poésie ni des chansons comme elle le faisait. Mais j’ai cherché dans les textes ce qui pouvait lui ressembler. Si s’aimer d’amour, c’est mourir d’aimer… Les mots de Guillaume [Depardieu, ndlr] dans À force de, qu’elle a mis en musique. Ou ceci : Il ne faut jamais revenir aux temps cachés des souvenirs du temps béni de son enfance. Mais aussi des chansons plus gaies, si tant est qu’il y en ait dans un répertoire où il est toujours question de la nature humaine. Comme ces deux amants qui se rencontren­t sur le pont de l’Alma, le jour de Noël. Ou Madame, poème sublime où deux femmes pleurent la mort d’un fils.

À trop m’être cherchée, c’est toi que j’ai perdu, lui écrivait Guillaume Depardieu. À force de se chercher, ne peut-on pas se perdre soi-même ?

Non. Ça, c’est Guillaume. Moi, je me perds dans d’autres façons. Et encore… Depuis cinquante ans que je vis ce métier, je sais ce dont je n’ai plus besoin. En revanche, ce dont j’ai besoin, c’est d’un ailleurs. Comme la Corée. Des pays dont je ne connais pas la langue. Où je ne comprends pas tout ce qu’il se dit autour de moi. Ça, c’est bien.

Barbara voulait « tout balancer » dans ses chansons. Sur scène, on sent votre fragilité. C’est votre façon à vous de partager ?

On sent ce que devrait être tout artiste. Je ne suis pas chanteur, alors je ne cherche pas à faire des effets de chant. Je me mets en condition de communique­r avec l’esprit de Barbara et je crois y parvenir puisque les gens le ressentent. Ce n’est pas un travail, ça s’appelle une harmonie. Une sensibilit­é. Les mots me font frissonner et, je pense, font frissonner les autres. Ça ne s’apprend pas, ces choses-là. Ça se vit.

Comme Barbara, vous intimidez. Elle faisait même un peu peur…

C’est normal. Toute la beauté fait peur. La vérité fait peur !

On a l’impression que vous pourriez quitter la scène à tout instant. Comment la tenez-vous?

Ça ne se tient pas. C’est simplement une disponibil­ité. Ce n’est pas la peine d’arrêter son émotion quand elle existe. Elle vient, point. On ne va pas quand même pas contrôler ça en plus ? Il y a déjà bien assez de cons qu’il faut contrôler !

Ne dit-on pas souvent que vous vous foutez de tout?

Ceux qui le disent, c’est leur problème. Moi, je ne me fous pas de tout. Mais je ne suis pas tenu de m’expliquer sur ce dont je ne me fous pas. Je ne suis pas quelqu’un qui essaie de vendre des choses. Je n’aime pas tous ces chanteurs qui justifient Barbara comme ça. Non, je ne me fous pas de tout, et surtout pas des gens. Croyez-moi.

Sur cet «ailleurs» dont vous avez besoin et que beaucoup vous reprochent d’aller chercher, qu’y trouvez-vous qu’il n’y aurait plus en France ?

D’abord, je ne vois pas pourquoi on me le reproche. Je ne comprends pas. Qui sont ces gens qui pensent que je leur appartiens ? Je ne m’appartiens déjà presque pas ! Moi, j’appartiens à la vie. Et cet ailleurs, c’est la vie. Je ne vais pas vers ceux qui mènent, je vais vers la vie. En regardant les pays, les langues, la nature et les gens.

Vous savez bien que ce n’est pas cela qu’ils vous reprochent, mais vos affinités avec des dirigeants controvers­és.

Controvers­és pourquoi? Parce que ce sont, pour eux, des dictateurs ? Il faut arrêter de dire des conneries. Ça fait trente ans que la Russie a changé. Poutine, il est ce qu’il est, mais je vais vous dire, Macron est comme Poutine. Quant à Trump, je n’irais pas en Amérique parce que ça me plaît moins, même si c’est un très beau pays.

Libre, envers et contre tous ?

La beauté fait peur. La vérité fait peur ! ” Les Français, j’entends leur souffrance ”

Je suis quelqu’un de libre, oui. Et quelqu’un de curieux. Mais vous savez, des « ailleurs », je peux en trouver en France. Il y a des communauté­s et des régions dans lesquelles je me sens bien. J’adore aller dans les campagnes. Mais les agriculteu­rs, je les plains. Ils n’osent plus, ils sont perdus. Je déteste les OGM. Je déteste ce qu’on a fait de cette terre, d’abord elle est devenue du béton armé. Les Français que j’aime, je les écoute et j’entends leur souffrance. C’est tout. Point.

Depardieu chante Barbara.

Jeudi 27 septembre, à 20 h, vendredi 28 et samedi 29 septembre, à 20 h 30. De 37 à 63 €. Rens. 04.83.76.13.00. www.anthea-antibes.fr

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