Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Jeannette Boufhal décorée «au nom des siens»

Enfant de harki et défenseur de leur cause, cette Gardéenne a été élevée dans l’ordre national du Mérite. Une distinctio­n qui n’efface pas une histoire familiale douloureus­e

- P.-L. PAGÈS plpages@varmatin.com

Si mes parents n’étaient pas décédés, j’aurais refusé cette médaille. C’est à la première génération, à ceux qui ont combattu pour la France, qu’il fallait donner cette décoration ». À 49 ans, Jeannette Boufhal, responsabl­e du service entretien à la mairie de La Garde, fait partie de la petite vingtaine d’enfants de harkis – une première – que le président de la République a décidé d’élever cette année dans l’ordre national du Mérite. Une distinctio­n qu’elle doit, elle le sait, « à [son] implicatio­n dans les associatio­ns de défense de la cause des harkis ». Autant dire que cette médaille – «peut-être un début La Garde, elle a chanté une version très revisitée du Déserteur de Boris Vian. Si elle dédie donc cette médaille du Mérite à ses parents, « mais aussi à tous ces pères et toutes ces mères harkis qui ont tant souffert », ce geste de la République française reste insuffisan­t aux yeux de Jeannette Boufhal. Cette mère de trois enfants, tous titulaires d’un master ou en classe préparatoi­re, n’a rien oublié des privations qu’elle et ses six frères et soeurs ont subies dans « les camps de la honte » où les harkis arrivés en France ont été parqués après les accords d’Evian en 1962. Née en 1969 à Rivesaltes, Jeannette, un prénom qu’elle porte en hommage à une assistante sociale qui a beaucoup aidé sa mère, a vécu jusqu’à l’âge de 7 ans dans «des conditions inhumaines et misérables ». Ayant des fils barbelés pour seul horizon, condamnée à ce qu’elle appelle « l’école de la ghettoïsat­ion » dans l’enceinte du camp de Bias dans le Lot-et-Garonne, Jeannette Boufhal dénonce :

Dans les camps de la honte”

« On m’a volé mon enfance ». Plus de quarante ans après, « cette plaie béante» n’est pas près de se refermer. Et le logement HLM attribué à sa famille en 1976, à la fermeture de ces camps ignobles, n’y a rien changé, malgré « le luxe » qu’il représenta­it. Bien d’autres auraient rejeté cette France ingrate qui prône l’égalité et la fraternité, mais discrimine toute une communauté. Malgré ce« manteau de la douleur » qu’elle porte comme « une seconde peau», Jeannette Boufhal n’est pas de ceux-là. « Je suis très fière du choix de mon père en faveur de la France. Je suis très fière d’être fille de harki. Comme tous les harkis, j’aime la France. Mais la France ne nous aime pas comme on l’aime », lâche celle qui partage sa vie avec un fils de harki. Une fatalité ? « Non, mais on a une histoire commune. Seul un fils de harki pouvait comprendre ce que j’ai vécu ».

‘‘Fière du choix de mon père ”

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