Amiral du Ché: «Anticiper est le maître mot»
La Grande Bleue est son terrain de jeu. Où les puissances étrangères jouent des muscles, où le trafic maritime est chaque jour plus dense. Rencontre avec le préfet maritime de la Méditerranée
Rien de ce qui se passe ou presque en Méditerranée n’échappe au vice-amiral d’escadre Charles-Henri du Ché, préfet maritime de la Méditerranée depuis juillet 2016. De la guerre en Syrie, aux trafics illicites entre le Maroc et l’Espagne, en passant par le phénomène migratoire, les navires de guerre français, qui naviguent en permanence sur le Grande Bleue, sont ses yeux et ses oreilles.
La collision entre deux navires au large de la Corse a-t-elle permis de démontrer l’efficacité du dispositif de lutte contre les pollutions ?
Le premier aspect extrêmement positif de cet accident est qu’il n’y a pas eu de blessé. Ensuite, tous les moyens français et internationaux, notamment italiens, ont été au rendez-vous. Dès le dimanche soir, quatre bateaux, remorqueurs de haute mer ou spécialisés dans la lutte antipollution, sont arrivés sur zone. L’organisation française, qui s’appuie sur le centre des opérations maritimes, une structure militaire, a démontré qu’elle était intelligente, efficiente et réactive. Quant aux exercices annuels, que nous organisons régulièrement dans le cadre de l’accord RAMOGEPOL, ils nous habituent à travailler ensemble et donc à répondre rapidement à ce type de crise.
Auriez-vous été aussi efficace si un pétrolier était impliqué dans la collision ?
Il faut relativiser : on n’a jamais vu un pétrolier les cuves pleines au mouillage. Mais on n’avait jamais connu non plus un tel accident. Si on n’est pas infaillible, on a quand même prévu beaucoup de choses depuis le naufrage de l’Amoco Cadiz dans les années . Par exemple, je dispose de l’Abeille Flandre, un remorqueur de haute mer que je prépositionne, prêt à intervenir rapidement, en fonction de la météo. Par hélicoptère, on peut également acheminer une équipe de dépannage à bord d’un navire marchand qui serait en avarie. La coopération internationale a également été renforcée. De même que les moyens antipollution ou la législation pour poursuivre les pollueurs et les sanctionner.
Avec % du commerce mondial, % du trafic des hydrocarbures, la Méditerranée est l’une des mers les plus fréquentées de la planète.
Qu’est-ce que cela implique pour vous ? Anticiper est le maître mot. Anticiper en prépositionnant les remorqueurs au bon endroit. Mais aussi en surveillant le comportement des navires. Tout comportement anormal ou inhabituel, tel que la désactivation du système d’identification automatique (AIS), doit déclencher une alerte. Tous les jours, un avion de la Marine nationale survole la Méditerranée occidentale pour surveiller le trafic maritime. S’il y a un doute sur un bâtiment, on le contrôle lors de son escale au port ou quand il entre dans nos eaux territoriales. Par ailleurs, un bâtiment de guerre est en alerte permanente, capable d’appareiller rapidement. Mais j’ai aussi à ma disposition les moyens nautiques de toutes les administrations (douanes, affaires maritimes, gendarmerie maritime), ainsi qu’une chaîne de sémaphores. Pour vous donner une image : c’est comme un filet dont les mailles se referment au fur et à mesure qu’on se rapproche de la côte.
Redoutez-vous un acte de terrorisme maritime ?
Bien sûr. On est conscient que l’imagination des terroristes est sans borne. Mais depuis l’attaque du Bataclan, beaucoup de mesures ont été prises pour renforcer nos capacités de protection, améliorer notre réactivité. Je ne peux pas tout expliquer en détail mais, grâce à des moyens aériens en alerte permanente, des commandos de marine et des fusiliers marins peuvent être projetés très rapidement à bord des ferries, voire des paquebots. On fait également du renseignement. On regarde de près la liste des passagers qui embarquent et on la croise avec d’autres listes plus sensibles. Régulièrement, et de façon préventive, des équipes de protection, composées de gendarmes maritimes et de fusiliers marins, embarquent à bord des navires battant pavillon français. Notamment les navires de la Corsica Linea et de la Méridionale.
Le retour des Russes en Méditerranée est-il inquiétant ?
On ne peut pas empêcher une grande puissance d’être présente sur un théâtre qui l’intéresse. Et la mer, parce qu’elle est un espace de liberté, est souvent le vecteur principal de démonstration de puissance. La Russie a tiré profit de la crise en Syrie, pays à qui elle apporte son soutien, pour se renforcer en Méditerranée. Mais elle ne représente pas réellement une menace. Et puis ce retour crée un effet miroir. Les États-Unis, dont la e flotte, basée à Naples, avait été réduite ces dernières années, se font à nouveau plus présents. La Chine aussi. C’est pourquoi il est important que la France ait un bateau en permanence dans cette partie de la Méditerranée. À la fois pour mesurer ce jeu des puissances et pour montrer qu’en mer on est partout chez nous. Pour ça, il nous faut une flotte de guerre entretenue et crédible, avec un équipage bien entraîné, à la fois ferme et courtois vis-à-vis des autres marines.
Avec un poids stratégique qui ne cesse de grandir, la base navale de Toulon ne risque-telle pas d’être à l’étroit ?
Les bâtiments de guerre ne sont pas plus nombreux, mais les nouvelles unités sont plus grandes. C’est pourquoi, après les avoir consolidés, on va rallonger les six appontements de Milhaud. Pour accueillir les nouveaux sousmarins nucléaires d’attaque, on remet à niveau les bassins de Missiessy. Enfin, trois nouveaux quais ont été construits à Castigneau, dont deux pour les frégates multimissions. Le port est en perpétuelle rénovation.
À terre, vous souhaitez que les sémaphores soient équipés de drones. C’est pour bientôt ?
Pour les petits équipements, de type drone de loisir, capables d’aller regarder dans les coins, là où les radars sont aveugles, ça peut aller très vite. En revanche, pour les drones plus imposants, destinés à aller voir au-delà de l’horizon, c’est plus compliqué.
Quel regard portez-vous sur le phénomène migratoire ?
Mon métier n’est pas de gérer des migrants, mais de porter assistance à des personnes en perdition. Sauver les gens en mer est le devoir de tout marin. Il faut bien séparer le droit maritime, du droit humanitaire. La mission des bâtiments de guerre français est aussi de mesurer les flux migratoires et de détecter là encore tout comportement anormal. Même si actuellement ces flux en Méditerranée orientale se tarissent, le phénomène est devant nous. Mais il faudra un jour qu’on puisse contraindre les trafiquants sans scrupule qui n’hésitent pas à jeter des hommes, des femmes et même des enfants à la mer.
La cité Berthe est en proie à la violence sur fond de trafic de drogue. Pourtant, on n’entend plus parler de grosses saisies en mer d’Alboran…
En mer, on est partout chez nous ”
Ce sont les Espagnols qui sont en première ligne. Mais il est vrai que nos bateaux sont tellement utilisés pour des missions de sûreté maritime qu’on n’a plus les moyens d’intervenir en mer d’Alboran comme par le passé. Il faut savoir que cet été, ou dispositifs de sûreté, des fanzones maritimes en quelque sorte, ont été mis en place. Ça consomme des moyens. Mais on va essayer de remettre la pression sur les trafiquants de drogue et prêter main-forte aux Espagnols.