Oncologues en colère Actu
La connaissance avance, de nouvelles associations de molécules améliorent le pronostic des cancers les plus graves, mais elles ne peuvent être utilisées, pour un problème de coût
C’en est trop pour le Dr Jérôme Barrière, oncologue médical à la polyclinique Saint-Jean (Cagnes-sur-Mer) et Praticien attaché au Centre Antoine Lacassagne (Nice). À l’instar de ses confrères, il se retrouve aujourd’hui dans une situation aussi ubuesque que tragique. Alors que les avancées thérapeutiques au bénéfice des cancers les plus graves n’ont jamais été aussi importantes, ces spécialistes sont confrontés à l’impossibilité parfois d’en faire bénéficier leurs patients. «Que dois-je faire? Mentir? Garder secrets ces progrès? Accepter de voir partir quelqu’un que l’on pourrait soigner ? » Les questions posées par l’oncologue sont volontairement brutales. Elles veulent réveiller les consciences de tous. Celles des laboratoires pharmaceutiques qui proposent des molécules à des prix insensés: jusqu’à 100000 euros et plus par patient et pas an. Celles des pouvoirs publics invités à se confronter à leurs responsabilités, à la nécessité de faire des choix. Celles des citoyens aussi, parties prenantes de ce qui se joue, et qui ont leur mot à dire. Interview du Dr Barrière.
Vous revenez de l’ESMO grand messe de la cancérologie ( spécialistes réunis) avec des nouvelles plutôt optimistes.
(), L’actualité est en effet riche en résultats positifs, notamment pour les cancers du rein, du sein et des ovaires. Aujourd’hui, on se dirige de plus en plus vers l’association de l’immunothérapie et de traitements plus classiques ayant précédemment montré leur efficacité : chimiothérapies et thérapies ciblées. Ce type d’association véhicule des espoirs nouveaux avec une efficacité accrue et une bonne tolérance. L’immunothérapie seule, dans laquelle on avait placé beaucoup d’espoirs, semble insuffisante dans beaucoup de cas (cancer du sein, du poumon…).
Quels types de cancer sont concernés en particulier par ces évolutions ?
cancers !
Ces progrès ne pourront peutêtre pas profiter aux malades en France dites-vous ?
Le prix à payer pour ces progrès est en effet considérable. Les des mois, pour obtenir ce remboursement. Cette problématique retarde la mise en place de ces associations, alors que les molécules sont déjà disponibles en soin courant. Pour les malades, c’est une vraie perte de chance thérapeutique.
Pour les cancers de l’ovaire, c’est le sujet des tests compagnons qui revient sur le tapis. Rappelons qu’il s’agit de tests permettant entre autres de distinguer les groupes de patients chez lesquels le médicament sera efficace ou non.
On a découvert en effet qu’un cinquième des femmes atteintes par un cancer de l’ovaire avancé présente une mutation particulière sur le gène appelé BRCA. Cela représente environ femmes chaque année en France. Si l’on traite ces patientes par une thérapie ciblée orale pendant ans, le risque de rechutes est fortement réduit. Les études montrent qu’à trois ans, % des femmes traitées ne récidivent pas, contre % dans le groupe de femmes ayant pris le placebo. Ces thérapies orales ont un coût énorme, euros pour ans de traitement. Mais ce n’est pas, pour ce cancer, le principal problème puisque le traitement est remboursé. Il se situe plutôt dans la nécessité de réaliser chez toutes les femmes opérées pour un cancer de l’ovaire une recherche de mutation sur le gène BRCA (dans les tissus ovariens) qui coûte près de euros facturés aujourd’hui aux établissements de santé. Le laboratoire qui commercialise la thérapie ciblée – à des prix exorbitants – refuse en effet de prendre en charge ce coût. Et c’est l’établissement qui l’assume. Mais jusqu’à quand ?
Que souhaitez-vous aujourd’hui ?
Que l’on réagisse. Et vite. Les sommes que l’on doit investir dans le traitement du cancer permettraient dès demain de sauver des vies ou au moins de les prolonger nettement, et dans de bonnes conditions. Il est inacceptable que ce, contre quoi les plans cancer successifs ont souhaité lutter ne devienne la règle : l’inégalité des chances. Avec des patients qui vivent au bon endroit ou qui ont les moyens d’aller se faire soigner à l’étranger, à leur frais. Et les autres. (1) Ce congrès a été fondé en 1975 par un oncologue niçois à la renommée internationale, le pr Maurice Schneider, aujourd’hui président de la Ligue contre le Cancer06.