Kerry Kennedy à Monaco: «Trump renforce les peurs»
Fille de Robert F. Kennedy et nièce de JFK, tous deux assassinés, Kerry Kennedy poursuit son combat pour les droits de l’homme. En fustigeant l’Amérique de Donald Trump
Kerry Kennedy, fille du sénateur Robert F. Kennedy assassiné il y a tout juste cinquante ans, préside le volet européen de la fondation qui, en son nom, milite pour les droits de l’homme. À Monaco jeudi pour une soirée anniversaire dans le Tunnel Riva, elle est revenue lors de cette interview sur la question des migrants. Mais aussi sur la position de la France à l’égard de l’Arabie Saoudite. Et sur l’Amérique de Trump à mimandat, où l’affaire des colis piégés rend le débat plus explosif que jamais. Un soulagement toutefois : le père de ses trois enfants, Andrew Cuomo, actuel gouverneur démocrate de l’État de New York, n’a pas été directement visé, contrairement à l’information qui avait circulé…
La Fondation Robert F. Kennedy lutte pour les droits de l’homme. Quelle est votre position sur la question des migrants ?
Au cours des six derniers mois, je me suis rendue en Jordanie pour rencontrer des réfugiés syriens, puis au Bangladesh où se rassemblent les Rohingyas qui fuient le génocide en Birmanie. Et qui forment aujourd’hui le plus grand camp de déplacés au monde. Je suis aussi allée à la frontière avec le Mexique où le président Trump, en vertu du principe de « tolérance zéro », a entrepris de séparer des familles. On arrache littéralement des bébés aux bras de leur mère ! Avec la Fondation F. Kennedy Europe, nous suivons évidemment de près la situation ici. Mais il me semble qu’on aborde cette question en lui prêtant des proportions excessives. Si l’Italie reçoit
6 Harry Benson, reporter pour « Life Magazine », honoré pour son travail sur les droits civiques. migrants par an, je crois que cela peut être facilement absorbé par une nation de millions d’habitants. Ce pays a été très généreux par le passé. Je lui en suis personnellement reconnaissante, puisqu’il m’a donné le père de mes trois enfants… Dans tous les cas, efforçons-nous de penser ces immigrants comme des pères, des mères, des maris, des épouses. Comme des êtres humains désespérés au point de tout quitter.
Les États-Unis, l’Europe, la France font-ils assez ?
Non, évidemment. L’Amérique pourrait faire qui ne partage pas les meilleures valeurs de l’Amérique. Il bafoue les droits de l’homme. S’engage lui-même auprès des pires dictateurs de la planète, depuis Poutine jusqu’à la Corée dunord, en passant par l’Arabie Saoudite, les Philippines ou l’Égypte. Avec notamment ceux d’entre eux qui continuent de pratiquer la torture. Trump ramène la CIA à des habitudes que l’on croyait révolues. Il se prononce régulièrement contre l’activité professionnelle des femmes. Ou favorise l’homophobie. Toute cette colère, toute cette agressivité, cela renforce les peurs.
Comment l’Amérique peut-elle changer ?
Des élections arrivent et je constate avec bonheur que de plus en plus de femmes entrent en campagne. Pas seulement pour le Sénat ou le Congrès, mais également pour exercer des fonctions locales. De nouvelles personnalités politiques émergeront à l’occasion de ces scrutins, et c’est porteur d’espoir.
Après l’assassinat du journaliste saoudien à Istanbul, la position de la France est critiquée. Qu’en pensez-vous ?
Le journaliste Jamal Khashoggi a été assassiné parce qu’il voulait exercer sa liberté d’expression. Tous ceux qui vendent des armes à des gouvernements dont il est de notoriété publique qu’ils sont des meurtriers, ou qu’ils pratiquent la torture, sont en faute. La France doit revoir sa position, même si je pense que certaines étapes sont possibles et nécessaires avant une rupture totale des relations diplomatiques et économiques.
Comment votre père vivrait-il le monde et l’Amérique d’aujourd’hui ?
La chose la plus importante qu’il faut retenir de mon père, ce sont ses positions à l’égard des autres. Son empathie. Sa capacité à prendre en compte des points de vue divergents. Lors de la crise entre les États-Unis et l’Union Soviétique autour des missiles de Cuba, il a compris que le lobby militaire américain poussait son frère [Ndlr : John Fitzgerald Kennedy] à agir. Et il a plaidé pour la paix. Lorsque Martin Luther King a été assassiné, il est allé au contact des Afro-Américains pour que la colère ne l’emporte pas sur la volonté de justice. Il y avait chez lui une grande capacité de dépassement de soi. Ce sentiment, je le conçois d’autant mieux que j’ai moi-même perdu brutalement plusieurs membres de ma famille.
Votre frère Robert Kennedy Jr. est convaincu qu’un deuxième homme a tiré sur votre père. Souhaitez-vous que l’enquête soit relancée ?
Je ne veux pas trop me retourner sur le passé. Je préfère me concentrer sur l’avenir, tout en cultivant ce que mon père a eu le temps d’accomplir. Quand il s’est engagé dans la campagne présidentielle, il a dit ceci : “Paix, justice et compassion pour ceux qui souffrent”. Voilà ce qui, aujourd’hui, devrait gouverner notre pays.
PROPOS RECUEILLIS PAR FRANCK LECLERC fleclerc@nicematin.fr
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