Bolsonaro: une ère de rupture s’ouvre pour le Brésil
Le président élu, Jair Bolsonaro, qui prendra ses fonctions le 1er janvier 2019, a reçu dimanche un mandat clair avec plus de 55 % des voix, devant le candidat de gauche Fernando Haddad (45 %) à l’issue d’une campagne très polarisée dans le plus grand pays latino-américain. Ses premiers discours -- trois au soir de son élection -- dans lesquels il n’a pas eu un mot pour son adversaire de gauche Fernando Haddad, augurent d’un virage radical. Il va s’agir d’une rupture par rapport à tout ce qui a été fait par le Parti de travailleurs (PT) qui avait remporté les quatre dernières présidentielles et est jugé responsable des maux du Brésil. Une fois installé dans le palais du Planalto à Brasilia, l’ancien capitaine, qui a souhaité dimanche voir un Brésil qui soit « une grande Nation, pour nous tous», aura aussi fort à faire pour recoller les morceaux d’un pays qui s’est fracturé profondément. Bolsonaro va succéder, pour quatre ans, au conservateur Michel Temer, qui se retire sur un taux d’impopularité historique et va lui laisser un pays miné par la violence, le chômage et la corruption, et en plein doute.
Privatisations et réforme des retraites au programme
Jair Bolsonaro devrait se rendre à Brasilia cette semaine pour s’entretenir avec M. Temer, si ses médecins l’y autorisent. Depuis l’attentat ayant failli lui coûter la vie le 6 septembre, Bolsonaro, qui a subi des perforations de l’intestin, porte une poche de stomie, limite les sorties de son domicile et fuit la foule. Les marchés vont suivre de près la direction que prendra la huitième économie mondiale sous la baguette d’un président qui avoue sa totale incompétence en la matière. Le nouveau gouvernement « va changer le modèle économique du pays », a lancé dès dimanche soir Paulo Guedes, futur « super ministre » ultra-libéral de Bolsonaro, fustigeant le «modèle socio-démocrate» et évoquant privatisations et réforme des retraites. Gaspard Estrada, spécialiste de l’Amérique latine à Sciences Po, estime que Bolsonaro «aura de très fortes pressions pour donner des résultats très rapidement, puisqu’il s’est basé sur une plateforme très radicale ». La liste est longue des Brésiliens qui ont de quoi être inquiets de l’avenir après les déclarations agressives du candidat Bolsonaro qui avait dit vouloir gouverner « pour la majorité, pas pour la minorité ».
Les noirs, les femmes et LGBT dans sa ligne de mire
Dans sa ligne de mire, pêle-mêle : les Noirs, les femmes, les membres de la communauté LGBT, mais aussi les militants de gauche, les Indiens, les membres du mouvement paysan des sansterre (MST) et d’ONG, les défenseurs de l’environnement et les journalistes. Les plus optimistes pensent que cet admirateur de la dictature militaire (1964-85) abandonnera sa rhétorique de campagne. Mais d’autres le voient gouverner d’une manière très idéologique et faire prendre un virage vertigineux au Brésil. Bolsonaro sera sous la surveillance de la communauté internationale. Il a déjà reçu, hier, de l’Union européenne, qui lui a demandé de « consolider la démocratie », le signal qu’il serait sous le radar. A Paris, le président Emmanuel Macron lui a aussi rappelé la nécessité du « respect » des « principes démocratiques ». A Rome, Matteo Salvini, patron de l’extrême droite italienne et homme fort du gouvernement, s’est félicité qu’« au Brésil aussi les citoyens ont chassé la gauche ! » Le président américain Donald Trump avait téléphoné à Bolsonaro, qui l’admire, dès dimanche soir pour le féliciter, ce qu’a fait aussi hier, le président russe Vladimir Poutine dans un communiqué. Incendie dans la démocratie Inutile de se livrer à de subtiles analyses : Jair Bolsonaro, le nouveau président du Brésil, élu ce dimanche à une large majorité, est un authentique homme d’extrême droite. Son parcours, son racisme, sa mysoginie, sa violence, sa nostalgie de la dictature militaire qui régna sur le pays de à , sa réthorique fasciste suffisent à le démontrer. Son seul mérite, au fond, est de l’assumer. Les Brésiliens savaient donc qu’ils ouvraient la porte à un régime autoritaire, répressif, capable de remettre en cause les libertés fondamentales et en péril le système démocratique qui lui a permis de triompher. Nous aurions tort de croire que cette affaire n’est qu’un énième épisode tropical dans les républiques agitées de l’Amérique du Sud. Il est urgent de nous demander ce qui ne tourne pas rond dans les démocraties. Partout, en effet, elles se mettent à boiter. Aux Etats-Unis avec Donald Trump et sa manière de radicaliser le débat politique jusqu’à l’hystérie mais aussi autour de nous, en Europe, avec ces pays qui basculent dans l’illibéralisme et la démocrature. En Pologne, en Hongrie, en Slovaquie, en République Tchèque, en Italie, règnent désormais des dirigeants prêts à malmener la séparation des pouvoirs, à diviser la société, à bousculer les droits des citoyens et à laminer les libertés fondamentales. Tous ces gouvernants ont pourtant été élus à la régulière. Même les démocraties qui paraissent solides sont minées. On ne peut oublier le second tour de la présidentielle de en France. L’Allemagne, elle aussi, est atteinte. Les deux grands partis qui l’ont gouvernée depuis sont déstabilisés comme l’ont encore démontré ce dimanche les élections dans le land de Hesse : la gauche par les Verts ; la droite par l’extrême droite. Le feu est dans la maison démocratie. Il serait bien léger de s’en tenir à des explications exotiques pour comprendre le séisme que vient de connaître le Brésil. Le mal va bien au-delà, porté par l’oubli du plus jamais ça. La culture démocratique est le fruit d’une longue histoire et la Seconde guerre mondiale a démontré, comme l’a dit Winston Churchill que « la démocratie est le pire des régimes à l’exception de tous les autres déjà essayés dans le passé » .Les pouvoirs autoritaires ont toujours conduit à des drames. Il est urgent de rappeler les fantômes tragiques d’un passé que l’on croyait à jamais révolu et de retrouver au plus vite le chemin des vertus démocratiques.